Un soupir traversa les lèvres de Mee Joo lorsqu’elle posa son regard sur le cadavre qui jonchait devant elle. C’était le genre de moment qu’elle détestait par-dessus tout, surtout considérant le fait qu’elle savait qu’elle aurait pu sauver ce type si elle avait pu user de ses pouvoirs avant qu’il ne soit trop tard, sauf que ce n’était pas dans son département elle n’avait donc pas à s’en vouloir. Elle avait simplement du faire quelque chose qui avait déplait à un supérieur si bien qu’elle se retrouvait à devoir côtoyer tous ces morts. Qui sait, c’était peut-être pour l’habituer à une petite partie des gens qu’elle verrait en urgentologie. Sans plus attendre, elle passa donc le drap au-dessus de la tête du type avant de s’installer. À quelque part, malgré tout ce qu’elle pouvait ressentir, vis-à-vis le mort, elle savait ce que ça signifiait : elle allait voir Tae Hwan. C’était glauque en soit, d’être si contente de le voir, elle le savait bien, mais d’un autre côté, c’était bien le seul endroit où elle pouvait le croiser.
Marchant tranquillement vers la morgue, elle se demanda qui était chargé d’appeler Tae Hwan, si c’était bien lui qui avait été appelé Elle doutait fortement qu’il y ait une grande compétition de croque-mort dans la ville, mais on ne sait jamais, peut-être qu’il y en avait un autre... Mee Joo espérait que ce n’était pas le cas et que c’était bel et bien le jeune homme qu’elle avait appris au connaitre qui se présenterait comme toutes les autres fois. Certes, au final, l’un et l’autre n’était jamais bien loquaces et ce n’était pas les conversations qui fusaient, mais il restait une figure familière qu’elle appréciait, même si ça, elle ne l’admettrait pas. Il y avait trop d’histoire de chamailleries entre eux pour qu’elle aille admettre qu’elle l’appréciait un tant soit peu.

En la voyant arriver, la seule personne vivante de la pièce en dehors de la demoiselle la salua avant de sortir. Elle ne voyait pas l’utilité de cette personne, mais visiblement, elle prenait la relève de peu importe ce qu’elle faisait. Installée sur le siège, elle attendait impatiemment Tae Hwan. À vrai dire, elle ne savait pas totalement comment se comporter avec lui même si elle le connaissait depuis relativement longtemps. En entendant des bruits de pas se rapprocher, Mee Joo se tendit naturellement avant de se lever en moins d’un instant. Lorsqu’elle vit la figure familière de Tae Hwan, elle s’exclama : « Tae Hwan ! » réalisant la trop grande présence de joie dans sa voix, elle se prit une mine plus sérieuse avant de pointer le cadavre à côté d’elle : « Hm... c’est ce que tu es venu chercher, j’imagine. » Oh oui, imaginait, définitivement la chose à dire considérant qu’il n’était probablement pas venu rien que pour faire une belle discussion autour d’un petit thé. Même si au final, ce ne serait peut-être pas une si mauvaise idée, elle s’ennuyait de pouvoir le chamailler.

Pour quelqu'un d'aussi peu loquace que Tae Hwan, les morts étaient d'une compagnie précieuse. Il n'en pensait malheureusement pas autant de leur famille, et laissait depuis bien longtemps la tâche ingrate qu'était celle de « parler » à divers assistants. Très peu pour lui les pleurs contenus, les têtes basses et le choix du bois des cercueils. Le côté commercial de son métier lui échappait totalement, et il préférait se cantonner au côté manuel, aux tête-à-tête avec les morts qui, au lieu de le mettre mal à l'aise comme la plupart du commun des mortels, lui permettaient de s'épanouir comme jamais il ne l'avait pu auparavant. Plus personne pour le juger ni le regarder de haut, simplement parce-qu'il refusait de se plier au standard de la population. Sa taille et sa carrure semblaient là pour illustrer sa façon de pensée, et plus le monde se tenait loin, mieux il se portait. Il en était là de ses réflexions lorsque la porte de son bureau s'ouvrit. « Les papiers sont signés, on peut aller récupérer le corps. » Il acquiesça, sans même lever les yeux. Habitué au comportement peu sociable de son patron, le jeune assistant referma la porte sans attendre la moindre réponse. Tae Hwan referma le livre de comptes dans lequel il était plongé depuis quelques heures, et s'étira, heureux d'avoir enfin l'occasion de sortir. Inutile de s'attarder sur le côté macabre de la ballade, il avait appris depuis bien longtemps à prendre assez de distance avec son métier pour être capable de parler de chair, d'os, de mouches et de vers sans ressentir le moindre pincement au cœur. Attrapant sa veste, il rejoint rapidement la voiture, où l'attendait déjà le jeune homme qui l'avait interrompu un peu plus tôt, et qui l'aiderait à porter le corps de la morgue jusqu'au corbillard.
Le trajet vers l'hôpital était relativement court, et ils y furent avant d'avoir pu échanger le moindre mot (quoique l'assistant, bavard de nature, savait qu'il aurait fallu bien plus que de l'optimisme pour parvenir à faire dire à Kang Tae Hwan plus de deux mots d'affilées). Le jeune homme laissa d'ailleurs descendre son patron, sachant qu'il était inutile de le suivre immédiatement puisque celui-ci prenait toujours le temps de prendre connaissance du corps et des circonstances de son décès avant de réclamer ses services. Tae Hwan lui, était déjà sur le chemin de la morgue, et alors il en avait à peine pousser la porte qu'il fut arrêté par son propre prénom. « Tae Hwan ! » Il ne répondit rien et se contenta de fixer la jeune femme, sans lâcher la poignée de la porte. Si elle devait devenir aussi démonstrative que la façon dont elle avait prononcé son prénom, il aurait toujours le temps de s'enfuir. Mais elle sembla se reprendre, et se contenta de désigner un des cadavres. Il acquiesça à sa « question », avant de s'approcher du corps. Il ouvrit la bâche, observa un instant son visage, pâle et immobile. On y lisait une expression paisible, signe d'une mort douce, ou du moins sans souffrances pour le vieille homme. « De quoi est-il mort ? » finit-il par demander, sans lever les yeux vers Mee Joo. Tous les deux se connaissaient pourtant depuis longtemps, et il se souvenait encore du temps où il ne pouvait faire autrement que d'aller la trouver, sans jamais comprendre ses propres actes. Il s'était rendu compte, en la retrouvant au sein de l'hôpital, qu'elle lui avait manqué, mais il pleuvrait sans doute des mouches avant qu'il ne puisse admettre une chose pareille.

La présence de Tae Hwan, autant rassurante fut-elle, rendait Mee Joo un peu trop maladroite à son goût. C’était probablement de la fierté mal placée qui la faisait agir ainsi, mais rester qu’il y avait une certaine maladresse oh combien déplaisante à ses yeux. C’était probablement compréhensible à quelque part, mais s’il y avait bel et bien une chose que la demoiselle n’aimait pas, c’était perdre le contrôle d’elle-même. La joie de revoir Tae Hwan n’était définitivement pas une raison de faillir à garder un contrôle, bien au contraire. Sans véritablement le connaitre, elle avait appris à remarqué ce qui le dérageait dans le passé. Certes, bien des années avaient passés, mais elle se doutait bien qu’il n’était pas devenu le mec le plus bavard, ou alors il avait visiblement oublié de lui faire part de ce changement. Enfin, il fallait surtout qu’elle se reprenne et ne se laisse plus aller de cette manière. Tant de joie ne faisait pas partie de ses habitudes, encore moins dans une morgue. L’atmosphère ne lui plaisait pas, encore moins considérant que Tae Hwan, lui, ne semblait pas s’en soucier. Peut-être était-ce le côté licorne qui ressortait, enfin ça l’importait peu. La question du jeune homme la prit par surprise et elle releva la tête pour le regarder en silence pendant un moment. « Laisse moi regarder ça. » Ce n’était pas son patient, elle n’avait donc aucune idée de ce qui avait pu lui arriver et même si elle aurait du se préparer répondre aux questions traditionnelles, mais elle avait été trop perdue dans ses pensées pour le faire.
Sa main attrapa distraitement le dossier qu’on lui avait remis en même temps que le cadavre pour qu’elle aille le remettre à la bonne personne, question d’avoir de quoi se défendre si la famille croyait à une erreur médicale. Chose bien inutile considérant la cause de la mort de ce vieil homme : il avait été débranché. « Sa famille a demandé à ce qu’on arrête de le maintenir en vie artificiellement. » C’était un peu trop bien dit pour la réalité, mais toujours en était-il que c’était ce qui était arrivé. Mee Joo sentit une certaine pression ; celle de se dire qu’elle aurait pu le sauver. C’était idiot, mais même en faisant de son mieux, elle ne pouvait pas s’empêcher de se dire qu’avec son pouvoir, elle aurait pu. « Enfin, il a fait un arrêt vasculaire cérébral, ce qui a causé un coma. » Elle ne savait pas à quel point il voulait savoir ce qui s’était passé, mais puisqu’elle se doutait bien qu’il n’appréciait pas nécessaire l’entendre déblatérer tout ça, elle se rapprocha un peu pour lui tendre une feuille : « Si tu veux regarder. » Il n’y avait rien de bien confidentiel sur le papier qu’elle lui tendait et de toute façon, c’était des choses qu’il finirait par savoir en demandant ou par un examen du cadavre. Il fallait comprendre que la demoiselle et les procédures faisaient deux et que ça se voyait bien en ce moment. Si quelqu’un d’autre avait été devant elle, Mee Joo aurait pu tenté une discussion simple du genre la météo de la journée ou un autre sujet bateau, mais considérant le jeune homme qui se tenait devant elle, elle se risqua plutôt à un : « Tu veux savoir autre chose ? » Pas qu’elle risquait de lui être forcément utile, mais elle voulait tout de même profiter de sa présence un peu, malgré l’atmosphère glauque.

Suite à sa question, elle attrapa un dossier qu'elle se mit à feuilleter. Profitant du fait qu'elle regardait ailleurs, il leva les yeux vers la jeune femme et l'observa de tout son saoul. Meejoo n'avait pas changé. Bien sûr, les années avaient laissé leurs traces et il y avait en elle une force et une maturité qu'il ne lui connaissait pas lorsqu'ils étaient plus jeunes. Il fut soudain curieux de savoir en qui lui-même avait changé, si elle lui trouvait de nouvelles manies ou des traits plus fins. Ils s'étaient reconnus sans peine lorsqu'ils s'étaient croisés pour la première fois depuis des années, mais sans pouvoir éviter cette impression d'inconnu, ce vide béant entre ce qu'ils étaient alors, et ce qu'ils étaient finalement devenus. « Sa famille a demandé à ce qu'on arrête de le maintenir en vie artificiellement. » Il sentie sans mal le dégoût, la colère et le regret qui teintaient les paroles de la jeune femme. Il reconnaissait bien là son sens aigu de la justice et ce besoin d'aider son prochain qui l'avait mené, autrefois, vers lui. Il fut rassuré, quelque part, de voir que cela n'avait pas changé.
Elle se rapprocha soudain, en lui tendant le formulaire. « Si tu veux regarder. » Taehwan baissa immédiatement les yeux, pour les reporter sur le cadavre, dont il tenait toujours la bâche. Il prit le temps de la refermer, après avoir posé le dossier sur le brancard attenant. « C'est bon. » dit-il finalement après quelques longues minutes de silence. « J'te fais confiance. » et ces derniers mots, il les prononça très lentement, comme s'il n'y croyait pas lui-même. C'est qu'il n'était guère dans ses habitudes d'accorder ce genre de chose à qui que ce soit, mais la demoiselle était de celle qui faisait exceptions aux règles les plus strictes. Ce qui ne l'empêchait pas, toutefois, d'être incapable d'agir correctement et comme tout être civilisé en sa présence.
« Tu veux savoir autre chose? » Elle le tira de sa rêverie, et il tourna machinalement la tête vers elle, prêt à lui répondre. Mais une seconde de réflexion lui permis d'éviter le pire, sachant que lui répondre « non » n'aurait pour effet que de la faire s'en aller. Or, contre toute attente, Taehwan n'en avait pas envie. Du moins, pas tout de suite, les morts pouvaient bien attendre. Seulement, il ne voyait pas comment la retenir sans trahir son désir de la voir rester, puisqu'elle n'avait vraisemblablement plus rien à faire ici. De plus, il était clair qu'elle était tout sauf à son aise au sein de la morgue, ce qu'il ne manquait pas de remarquer à chacune de ses visites. C'était une chose qu'il comprenait partiellement, sans pour autant l'accepter. La mort faisait partie de la vie, et il était sot d'être plus à l'aise avec des êtres animés prêt à vous contraindre à la moindre opportunité. Les morts, eux, ne vous ennuyaient jamais. Il soupira, jeta un nouveau regard sur la silhouette du récent défunt dans sa bâche, avant de se retourner vers la jeune fille, sans un sourire. « Non, j'ai tout ce qu'y m'faut. » lâcha-t-il au bout de quelques minutes. « Tu f'rais mieux de remonter. T'as jamais l'air dans ton assiette, ici. » Et sur ce, il se détourna, essayant tant bien que mal d'étouffer les regrets et remords.

Alors qu’elle lui tendait le dossier du défunt, Mee Joo profita de l’occasion pour détailler le jeune homme devant elle. Sa carrure était toujours aussi impressionnante, si bien qu’elle ne pouvait que se sentir un brin intimidée. À quelque part, elle avait toujours cette impression de le connaitre comme elle le connaissait. Elle soupira légèrement lorsque la bâche fut finalement renfermée sur le cadavre, les morts la mettant très mal à l’aise, elle préférait sans doute que la bâche soit refermée. Cependant, elle s’entêtait à rester dans la morgue, simplement pour passer un peu plus de temps avec Tae Hwan. C’était idiot et elle ne l’avouerait probablement jamais, mais restait que c’était la réalité. Le jeune homme n’avait pas tant changé depuis le temps, mais à quelque part, c’était différent. Peut-être avait-il beaucoup plus changé qu’elle ne le pensait... La voix du jeune homme la sortit de ses observations lorsqu’il lui annonça que lire le dossier n’était pas nécessaire. Elle fut néanmoins surprise par ce qu’il ajouta. Elle s’était attendue à beaucoup de commentaire venant de lui, mais pas ça. Pendant un moment, elle fut presque tentée de lui faire remarquée ce comportement qui différait de son attitude générale, mais au final, il valait probablement mieux ne pas passer de commentaire si bien qu’elle se contenta d’un faible : « Très bien. » Il fallait bien qu’elle cache sa surprise devant Tae Hwan.

Sa question quant à s’il voulait avoir d’autres renseignements sur l’homme qu’il allait apporter n’eut pas de réponse pendant un moment. Mee Joo, tout en continuant d’observer son interlocuteur, préféra garder le silence. Puis quelques instants plus tard elle eut une réponse, un brin décevante, à sa question. Le fait qu’il n’avait plus besoin d’information lui permettait de remonter, ce qu’elle n’avait pas particulièrement envie de faire immédiatement. Elle fronça légèrement les sourcils en l’entendant ajouter qu’elle n’avait jamais l’air dans son assiette. Oh. elle pourrait très bien lui expliquer ses raisons, mais elle se doutait bien qu’il n’avait pas nécessairement envie de l’écouter décrire de long en large le pourquoi du comment si bien qu’elle se contenta de rétorquer. « On m’a demandé de m’assurer que tout va bien jusqu’à ce que tu repartes avec le défunt. » Comprendre : Mee Joo ne voulait pas partir tant qu’elle n’aurait plus un semblant de raison de rester alors elle allait rester. Prétendre qu’elle suivait des directives de la part de ses supérieurs lui permettait au moins de ne pas trop montrer le fait qu’elle voulait rester. « Puis, il faut bien que je m’habitue à tout ça. » mais surtout, elle se devait d’ajouter : « Et je suis parfaitement à l’aise, c’est toi qui est trop habitué. » Elle ne pouvait pas faire autrement que de lui répondre ça, après tout, elle ne pouvait pas admettre qu’il avait raison, parce que si elle le faisait, ça démontrerait davantage qu’elle restait rien que pour sa compagnie. Sauf qu’elle en avait peut-être trop fait au final, peut-être était dans le but de lui arracher une plus grande réaction, peut-être était-ce l’habitude. Quoi qu’il en soit, elle avait beau avoir réagit ainsi, elle doutait qu’elle arrivait à faire croire à qui que ce soit qu’elle était si à l’aise que ça.

« On m'a demandé de m'assurer que tout va bien jusqu'à ce que tu repartes avec le défunt. » Il l'observa un instant, avant de hocher la tête. Le sens du devoir, voilà une qualité qu'il lui reconnaissait bien. Cela, pourtant, ne lui donnait pas plus de raisons, en ce qui le concernait, de rester dans cette morgue. Taehwan jeta un rapide coup d’œil au corps recouvert, sachant qu'il ne trouverait aucune excuse satisfaisante pour s'attarder. Qu'il le veuille ou non, ça n'avait jamais été son genre. Résigné, il prit le portable rangé dans sa poche arrière, et composa le numéro de son assistant. « Puis, il faut bien que je m'habitue à tout ça. » Il releva la tête. « Et je suis parfaitement à l'aise, c'est toi qui est trop habitué. » Il laissa un sourire en coin lui échapper. La remarque était naïve, caractéristique de la jeune fille, ce qui avait toujours contrasté avec un certain côté brusque et une force de caractère qu'elle ne semblait pas plus avoir perdu. « Il faut bien, ou j'n'ai plus qu'à changer de job. » Il désigna du menton les deux corps autour d'eux. « Tu f'rais bien de t'y habituer aussi, si tu tiens à garder le tiens. » Sans cesser de la fixer, il se souvint de l'expression qu'elle avait eue en lisant le rapport du décès. Sa réaction écœurée ne l'avait pas étonné outre-mesure, mais il n'y avait que peu de place pour les bons sentiments au sein des hôpitaux. Les regrets ne pouvaient faire long feu, les décès n'avaient pas le droit de vous marquer plus de quelques secondes. Si les chirurgiens devenaient si souvent imbu d'eux-mêmes, c'est qu'ils n'avaient pas vraiment le choix, à force de faire si souvent face à la mort, et ce sous leurs doigts. Il sembla hésiter un moment, ses yeux hésitant entre les siens et le carrelage. Les mots qui lui brûlaient la langue ne lui ressemblaient pas, et seraient peut-être mal pris. Ces mots, elle les connaissait sans doute déjà par cœur pour se les être répétés mille fois, devant chaque malade, chaque défunt. Mais peut-être que les entendre une fois de plus, ou pour la première fois, mais de vive voix, ne lui ferait pas de mal… A elle, comme à lui, quelque part.
« On ne peut pas sauver tout le monde. » souffla-t-il, son regard rivé au sien. Il ne tint pas plus de quelques seconde pourtant, avant de s’intéresser à nouveau à son téléphone, et à son collègue qui attendait à l’autre bout du fil. Il se retourna pour lui murmurer quelques mots, avant d’acquiescer, et de raccrocher. Taehwan soupira, ne sachant pas à quelle réaction s’attendre de la part de la jeune femme. Peut-être ne ferait-elle que rire en lui disant qu’elle le savait bien. Ou peut-être se mettrait-elle en colère, en lui répondant la même chose, mais d’une façon bien plus amère. Et il redoutait cette dernière hypothèse. Finalement, il se tourna de nouveau vers elle, tout en rangeant son téléphone dans la poche arrière de son jeans. « Mon collègue sera là dans quelques minutes. »

Changer de job... C’était évident que si Tae Hwan n’était pas capable de supporter la présence de cadavre, il ne pourrait pas faire long feu dans le métier qu’il exerçait. Elle était bien consciente de ce détail, mais à quelque part, elle ne pouvait pas s’empêcher de s’étonner de l’aisance qu’il avait parmi les morts, une aisance qu’elle ne lui retrouvait pas entouré de vivant. Elle haussa légèrement les épaules lorsqu’il lui fit remarquer qu’elle devrait faire de même, tout en postant son regard sur le carrelage qui recouvrait le plancher. Elle n’avait cependant pas manquer de voir le sourire qu’il avait laissé passer, elle en était bien contente à quelque part. Ça lui rappelait le passé, puis elle était simplement contente de le voir sourire. Néanmoins, elle finit par dire : « Mon métier, c’est de sauver des gens. » La remarque était naïve, parce qu’elle savait bien que son métier se résumait davantage à un « sauver le plus de gens possibles », mais pour la demoiselle, une telle manière de pensée était simplement stupide. Si la mort l’affectait autant, c’était parce que pour chaque corps de défunt qu’elle croisait, elle se sentait coupable de ne pas avoir pu le sauver. C’était le genre de pensée qui n’avait pas sa place dans un hôpital, on le lui avait souvent dit, soutenant qu’elle tomberait rapidement sur une pente glissante si elle ne changeait pas de mentalité, mais elle n’y arrivait tout simplement pas.

« On ne peut pas sauver tout le monde. » La remarque lui tomba durement dessus. Elle savait que Tae Hwan avait raison et pourtant, elle ne pouvait pas se borner à l’accepter. Elle baissait à nouveau son regard vers le carrelage, se mordant la lèvre pour cacher que les paroles du jeune homme l’affectait. Bien évidemment, ce n’était pas la première fois qu’on le lui disait et pourtant, à chaque fois, elle refusait l’évidence. Elle eut un moment de répit pour replacer ses idées. Finalement lorsqu’il se retourna vers elle en lui annonçant que son collègue serait là d’ici quelques minutes, donc qu’il partirait dans quelques minutes, Mee Joo hocha légèrement la tête avant de se décider à répondre à la précédente remarque : « Je sais qu’on ne peut pas sauver tout le monde, mais... » Un soupir traversa ses lèvres alors qu’elle guettait la réaction de Tae Hwan. Elle craignait un peu de se ridiculiser, mais elle ajouta tout de même : « Ça ne m’empêchera pas d’essayer. » On sentait le ton amère, mais elle avait décidé de ne pas se mettre en colère, sachant qu’au final il avait raison. Mee Joo savait plus que bien que ses efforts ne sauveraient pas tout le monde, que ses pouvoirs avaient sans doute une limite de toute façon ou plutôt elle avait une limite, mais elle voulait essayer d’aider le plus de personnes possibles.
Sachant que son raisonnement pouvait encore sembler comme naïf, elle décida plutôt de changer le sujet de discussion, si on pouvait qualifier ce qu’ils avaient de discussions : « J’espère que ton collègue a appris à moins parler depuis le temps. » Elle faisait référence au fait que, contrairement à Tae Hwan, le collègue semblait un peu trop bavard. L’une des seules fois où elle lui avait adressé la parole, elle l’avait un peu regretté, alors elle ne pouvait qu’essayer de s’imaginer ce que ça pouvait donner avec le jeune homme devant elle.