Elle poussa la porte du bureau sans crier gare, affichant un sourire trop voyant pour être sincère, puis daigna enfin lâcher le poignet du policier qu'elle avait entraîné dans son chemin jusqu'au bureau de Coal Edge. L'homme qui savait tout sur elle, mais qui ne possédait aucunes preuves tangibles pour la faire couler. Kei s'amusait tellement à l'imaginer s'arracher les cheveux sur le cas Setsuka, et cela faisait tellement de temps qu'elle n'avait pas débarqué dans sa vie qu'elle avait décidé de s'y coller aujourd'hui. Lui ramenant une nouvelle surprise qui, pour sûr, le ferait une fois de plus sortir de ses gonds. Derrière elle se trouvait un des collègues du jeune homme qu'elle avait surpris à patrouiller dans le coin de la rue. C'était une soirée bien calme, l'astre lunaire haut dans le ciel éclairait de son blanc la pénombre de la ville, perçant l'obscurité et rendant impraticables les terrains de jeu favoris de la jolie japonaise. C'est pour quoi elle avait décidé de jouer à un nouveau jeu – oh, il n'était pas tout à fait nouveau, mais pour une fois elle comptait attaquer de front. Parce que la nuit lui semblait terriblement longue et ennuyeuse, et parce qu'elle aurait mis sa main à couper que Edge était encore en train de trainâiller dans les bureaux même en cette heure plus ou moins tardive. À vrai dire, elle commençait presque à le connaître bien, son faux petit-ami qui passait chaque jour lui rendre visite. Oh, il ne s'agissait nullement de visite de courtoisie, il était vrai, mais c'était fort agréable de voir sa jolie frimousse blonde apparaître devant la vitrine, le regard sérieux, les lèvres pincés et les sourcils froncés. Méfiant. Toutefois, ce qui était davantage amusant restait indéniablement le fait de voir son si joli visage se décomposer dès qu'il apprenait un des nombreux tours qu'elle lui avait joué. Elle lui en avait fait voir des vertes et des pas mûres, c'était une évidence. Tous deux étaient comme deux humains jouant aux dames, et celle qui dominait actuellement la partie, c'était elle. Uniquement parce qu'elle restait parfaite et très méticuleuse dans ses actions. Il lui suffirait d'un faux-pas pour renverser le jeu et pour que le jeune policier la dévore en l'espace de quelques secondes. Mais elle ne comptait absolument pas le laisser faire. C'est pour cette raison que, ce soir, elle avait décidé de rajouter un peu d'huile sur le feu. Échauffant sa voix, préparant tout son manège de jolie comédienne, elle avait accouru jusqu'à un policier qu'elle avait au préalable croisé dans le poste de police d'Edge et lui avait confessé, d'une voix tremblante et apeurée, qu'un de ses collègues avaient été d'une immondice sans nom avec elle. Qu'il l'avait longuement observée, avant de rentrer par effraction chez elle et que, si il pouvait l'aider, elle pouvait l'y conduire. S'il fut surpris au premier abord, il goba son mensonge du début à la fin, se perdant dans les yeux envoutant de la fausse victime. Ainsi donc, elle avait marché à ses côtés jusqu'au poste de police, et avait poussé la porte en affichant un large sourire à Edge, avant de se placer immédiatement après derrière le grand, beau, musclé, fort et – derrière le policier, avant d'annoncer d'une nouvelle fois d'une voix tremblante. « C'est lui ! C'est lui, vous dis-je, il est rentré chez moi et a tenté de me violer ! Il me suit où que j'aille, mes clients peuvent le confirmer, il est constamment devant la vitrine de mon magasin ! ».
Alors Edge, comment vas-tu réagir à cela ?

Pour la énième fois depuis qu’il était entré au service de la police d’Asaviks, Edge faisait du temps supplémentaire. Ce n’était probablement pas la dernière fois que ça lui arriverait et de toute façon, ça ne le dérangeait pas tellement considérant qu’il ne prévoyait pas faire quelque chose de spécial en cette belle soirée. Si seulement il avait su ce qu’on prévoyait pour lui, il serait parti en courant, mais il n’était au courant de rien et l’atmosphère paisible qui régnait dans le bureau lui plaisait bien. Un soupir traversa ses lèvres en voyant la pile de rapport qui lui restait à faire, à croire qu’au final, il n’avait pas tellement tord de vouloir rester plus tard. Ça lui permettrait sans doute de pouvoir faire davantage de patrouille le lendemain. Après un bon moment, Edge décida qu’il était temps de prendre une pause ! C’était rare qu’il s’accordait de telles faveurs, à croire qu’il était réellement un bourreau de travail, mais puisqu’il n’y avait personne pour le déranger, il pouvait bien le faire. Il se dirigea donc vers la salle commune pour s’offrir un bon thé. Vu l’heure, un café ne lui aurait pas fait de mal pour rester éveillé pour un moment encore plus long, mais ses ancêtres anglais l’obligeaient inconsciemment à opter pour le thé ! C’était meilleur et beaucoup moins nocif pour la santé ou plutôt c’était ce qu’il s’entêtait à croire. Prenant une tasse au hasard, en l’occurrence celle d’un collègue, Edge fit bouillir de l’eau avant d’y déposer une poche de thé.

À peine fut-il retourné à son bureau, tasse à la main, qu’on fit irruption. Lui qui croyait qu’on ne le dérangerait pas de la soirée ! S’il pensa pendant un court instant qu’il s’agissait peut-être d’une urgence, le jeune homme réalisa rapidement que ce n’était pas le cas ; la présence de Kei ne lui disait rien de bon. Comme si elle sentait le besoin de confirmer ses soupçons, si seulement elle pouvait le faire pour autre chose, la demoiselle commença à l’accuser dont ne sait trop quoi. L’information prit un moment avant d’atteindre son cerveau qui y vit rapidement un danger. Venait-elle vraiment de l’accuser de tentative de viol ? « Cette accusation est ridicule. » Perdre ses moyens ne ferait que le rendre plus suspect même s’il devait avouer qu’il avait une envie toute particulière de laisser libre sa frustration contre la demoiselle. Néanmoins, tel le gentleman anglais qu’il était Edge retourna s’assoir derrière son bureau pour demander : « J’imagine que tu as des preuves de cette supposée tentative de viol ? » Néanmoins, son calme, bien que totalement faux, il bouillait intérieurement, semblait énerver son collègue qui fit un pas en avant comme pour lui passer les menottes. Du calme, il ne fallait pas s’énerver. Malgré toutes ses tentatives intérieures pour se calmer, le policier avait envie de remettre les idées de son collègue en place. « D’abord je ne vois pas comment j’aurais pu aller à son appartement puisque j’ignore où il est et ensuite, je suis dans mon bureau à faire des heures supplémentaires depuis plusieurs jours. » Et non pas pendant plusieurs jours, il ne fallait pas se méprendre non plus ! Ah comme il aimerait lui faire comprendre qu’il ne se ferait pas avoir comme ça. « Puis une accusation d’une voleuse ça ne vaut pas grand chose. » finit-il par marmonner entre ses dents avant de prendre une gorgée de son thé.

Cachée derrière l'homme à l'imposante stature, Kei observait d'un œil la réaction de son meilleur ennemi. Faire preuve d'une incroyable maîtrise de soi allait prouver qu'il avait anticipé son accusation – et donc il aurait l'air coupable – mais jouer les grands choqués avec un faux jeu d'acteur ( puisque tel est le cas à chaque fois que l'on nous annonce quelque chose d'improbable ayant pu se passer ) allait également indiquer qu'il n'était pas tout à fait innocent. Dans les deux cas, le jeune homme était piégé, et la jeune japonaise jubilait dans son coin. Visiblement, il avait opté pour la parfaite maîtrise de soi, et c'était l'option la plus coquasse qu'il avait pu choisir. Se décollant du second policier dès qu'il fit un pas en avant pour attraper son collègue, la jeune Setsuka s'humecta les lèvres de contentement. « J'imagine que vous avez des preuves justifiant que vous ignorez l'adresse de mon logement ? » renchérit-elle sur son affirmation. Il s'agissait là d'une information 'abstraite'. Un partout. La jeune femme écarquilla de grands yeux à la réponse du jeune homme, une accusation venant d'une voleuse ne valait rien ? Mais voyons, mon chou. Pour ça aussi, tu n'as pas de preuves. « En admettant que je sois une voleuse … » commença-t-elle avant de se tourner vers le second homme avant d'ajouter : « … ce qui n'est pas le cas, bien évidemment … » elle acheva avec une pointe d'outrage, se tournant de nouveau vers Edge: « Cela justifierait une quelconque agression de votre part sur ma personne ? Cela veut-il dire que si jamais une personne derrière les barreaux venait à se plaindre de tentative de viol, elle serait immédiatement perçue comme menteuse simplement parce qu'elle a fait une erreur passée ? »

Kei baissa les yeux vers le sol, croisant ses bras sur ses épaules qu'elle tenait avec ses mains. Ses sourcils se froncèrent de tristesse comme si elle se remémorait les pénibles instants qu'une victime d'une telle atrocité pouvait vivre, puis se laissa glisser sur le sol, sur les genoux, en hoquetant comme si le traumatisme lui revenait en tête. Heureusement pour elle que le second de monsieur Coal était d'une crédulité aberrante – ou disons plutôt, heureusement pour elle que ses années passées à vivre dans la rue lui avaient appris à vivre et survivre à l'aide de multiples dons qu'elle avait développé. Le coup du viol était son préféré. Elle leva soudainement la tête vers l'inconnu, les yeux embués de larmes invisibles, et elle se releva d'un seul coup, soulevant son tee-shirt sans pudeur aucune, dévoilant sa peau parfaite blanche et … bleue ? En effet, quelques bleus apparaissaient sur son ventre. « D'où je sors ces marques, sinon ? » couina-t-elle.

Sa maitrise de soi ne relevait en rien du fait qu’il avait prévu une telle accusation, enfin, disons qu’il avait pu se douter qu’elle planifiait quelque chose rien qu’en la voyant, mais il n’avait certainement pas prévu qu’elle l’accuserait de tentative de viol ! Néanmoins, pour l’instant, il avait sa réputation et son rang pour se protéger de son second qui était un peu trop idiot au goût du blondinet. La question de la jeune femme le fit froncer les sourcils. Pourquoi devait-il prouver qu’il ne savait pas quelque chose ? C’était plutôt à elle de prouver ses accusations ! Après tout, en vertu de la loi, il était innocent jusqu’à ce que le contraire soit prouvé. Un soupir traversa ses lèvres avant qu’il ne dise : « Non, puisque je ne sais pas où il se trouve. Cependant j’aimerais savoir vos preuves justifiant que je connais sa location. » Puis même s’il le savait, il pourrait le justifier en cherchant un dossier, peut-être que ça avait été noté, mais de toute façon, son collègue savait qu’il faisait des heures supplémentaires depuis plusieurs jours. Par contre il aurait peut-être du contenir sa colère et garder son commentaire pour lui au sujet de la nature de voleuse de la demoiselle. Il n’aurait peut-être pas du dire ça... « ... Vous déformez la vérité. À mes yeux, votre accusation, bien que fausse, est aussi valable que celle de n’importe qui. Seulement, devant un tribunal, les soupçons qui portent sur vous risquent de vous nuire. » Triste, mais c’était comme ça la vie.

Puis la demoiselle enchaîna acte par dessus acte et le pire, c’était que son second buvait les stupidités qu’elle racontait. Néanmoins lorsqu’elle souleva son chandail, Edge ne put que détourner le regard vers la direction opposée à la jeune femme. Parce qu’il était visiblement plus pudique qu’elle. Ce qui ne l’empêcha pourtant pas d’apercevoir les marques. Des marques dont il n’était pas la cause, ça c’était évident ! « Vous devriez plus aller voir un médecin plutôt que de venir faire de fausses accusations ici. » Oui, ça énervait Edge rendu là. Lui qui priorisait bien souvent les autres, il se faisait accuser ainsi alors qu’elle aurait du s’assurer que ses bleus ne cachaient rien de plus grave. Il reprit une autre gorgée sans la quitter du regard. Bizarrement, il commençait à croire que son collègue finirait par gober ce que Kei disait au point de vraiment vouloir lui passer les menottes. Il ne pouvait pas croire qu’elle avait pousser ça à ce point, lui faire payer le café ça allait encore, mais l’accuser de viol ça dépassait tout. « Donc outre le fait que je passe souvent à votre boutique, ce qui est expliqué par les soupçons vous concernant, auriez-vous des preuves concrètes contre moi ? » Il but une autre gorgée de thé avant de demander : « Vous prendriez un café ? » Peut-être que ça donnait l’impression qu’il s’attendait à tout ça, mais pour l’instant, c’était ça ou sa colère allait devoir sortir et ce ne serait pas bien bien beau. Il était outré.