1888; Anabeth Moore, McGrath de son véritable nom, n’était guère différente des autres jeunes filles de son âge. Ses passions étaient communes, et sa famille n’était point aisé. Toutefois, ses manières distinguées et les traits délicats de son visage suscitaient une vive attention au sein de rangs socialement plus élevés. Le seul vice qu’on lui attribuait dès lors, était son inhabituelle curiosité. Chaque excentricité, ou détails insignifiants l’interpellaient irrémédiablement, mais il était reconnu que la curiosité était un bien vilain défaut.

Ce soir-là, Ana fleurta avec la mort.
Madame McGrath répétait sans cesse à ses filles que la nuit n’apportait que fatalité. Il était vrai que dans la famille, tous les drames et événements spéciaux s’accompagnaient d’un rayon de lune. Malédiction, ou coïncidence, Ana n’en avait que faire. La veille au soir, un jeune homme tout à fait charmant l’avait interpelé, et malgré le teint pâle qu’il arborait, sa courtoisie et ses manières étranges avait immédiatement séduit la demoiselle. L’attention toute particulière qu’il portait à Anabeth avait animé les plus vives discussions, et on annonçait déjà l’acquisition du cœur de l’anglaise.

Les deux jeunes adultes avaient confirmés certaines rumeurs, et c’était rencontré en toute discrétion le lendemain, à l’abri de regards indiscrets. Le contenu de cette soirée resta un véritable mystère pour la brune, la seconde partie se révéla moins jouissive.
La carcasse abandonnée de son corps gisait sur le sol boueux d’une clairière quelconque. En une inspiration inespérée, Anabeth reprit connaissance, secouée de spasmes à la première goulée d’air frais. Sa vision se troubla, et une douleur localisée au creux de sa nuque lui arracha un hurlement strident, déchirant le silence de la nuit. Un cri si puissant que les oiseaux alentours s’envolèrent à travers le ciel étoilé. La peur l’enlaça alors, irrémédiablement, bloquant toutes pensées rationnelles : impuissante face au dessein qu’on lui imposait.
Un second corps inanimé lui faisait face. Une insatiable sensation de faim la secoua, incapable de maitriser ses nouveaux instincts. Seuls les restes de sa conscience humaine l’empêchaient de passer à l’attaque, mais l’odeur du sang ainsi que la situation démesurée l’amenèrent à assouvir sa pulsion. Les dents de la jeune femme s’allongèrent immédiatement, et tranchèrent net la peau pour y former deux petites cavités. Aucune bavure, le sang filait parfaitement entre les lèvres de la bête. La transformation s’acheva.

Anabeth avait tenté de reprendre contact avec les membres de sa famille. Tous, sans exceptions, la chassèrent et la pierre tombale à son effigie résumait sa situation au sein du clan McGrath. Détruite, amère, son désespoir la poussa à la déchéance, décimant par accès de colère des familles entières. Sa vie lui manquait. L’admiration qu’on lui vouait, l’intérêt qu’elle suscitait, aujourd’hui tout ça s’était métamorphosé en haine. Anabeth McGrath était belle et bien enterrée.

2020; Les voyages, les chasses-course, la traque des chasseurs, Anabeth avait expérimenté bien des choses. Aussi, avait-elle bien changé depuis ses premiers jours. Les souvenirs de ces débuts avaient un goût amer, et chaque bribe lui rappelaient sa véritable nature. Nature qu’elle camouflait avec aisance derrière ses manières élégantes, et par principe, tout simplement. A l’heure d’aujourd’hui, elle se régale du sang d’animaux sauvages, bien moins goûteux que celui des humains certes, néanmoins satisfaisant et nourrissant. Tout est donc mis en œuvre pour oublier la bestialité de ses instincts premiers.
On ne décèle pas l’angoisse dans chacun de ses gestes, écœurée à l’idée de ne plus être capable de contrôler ses pulsions. Il n’est pas rare que, lorsque les fortes colères l’emportent, son agressivité se révèle incontrôlable, et le pire peut se produire ; la tentation du sang humain, par exemple. Elle se cache bien, et personne ne se doute une seule seconde de ses vieux démons.
Elle n’en reste pas moins un vampire accommodant, et dont les talents de chasseuse sont inestimables. La discrétion, l’agilité de ses mouvements, sans oublier son odorat et son ouïe extra fine, les rongeurs n’ont décidément aucune chance d'y réchapper !
Anabeth aime rire aussi. Ses passions d’antan ne l’ont jamais quitté, ni la curiosité qui la caractérisait tant ! Elle aime vivre. Vivre malgré les limites de son espèce. Contrairement à bien des vampires, elle ne s’est pas lové dans son horreur, s’est battue pour offrir les sourires et la gaîté dont elle fait preuve ! Pour rien au monde, Anabeth n’abandonnerait la philosophie de sa vie.

Ana ne sait encore rien des créatures mythiques peuplant l’île, et ne se doute pas encore de leur existence. Les autres bêtes ne lui sont toutefois pas inconnues, tel les lycans, ennemis jurés et véhéments des vampires. Seuls les plus écervelés l’insupportent, elle jauge le reste avec méfiance.
Sa propre race ne lui plait pas, elle ne se fît qu’à de très rare vampire, pour peu qu’ils en vaillent la peine. Pour tout dire, l’acte de son créateur n’aide pas à leur attribuer du mérite.
Les animorphes lui sont indifférents, Anabeth doit tout de même faire attention de ne pas les attaquer lors de ses chasses nocturnes.
Ah, puis les humains. Elles les observent depuis plus d’un siècle aujourd’hui, leur médiocre évolution, leur esprit fermé et la haine qu’ils vouent aux êtres différents, pour peu qu’ils soient supérieurs. Elle s’attaque uniquement aux chasseurs, si eux-mêmes lancent l’offensive, autrement elles les laissent en paix.