déterminée, grande gueule, franche, provocante, meurtrie, alcoolique, indépendante, chiante, serviable, souriante.

12 SEPTEMBRE 2010.
Assise devant la petite table de la cuisine, elle regarde la seule bougie posée sur le gâteau. Il a l'air bon, normal après tout, c'est tonton qui l'a préparé. Jamie regarde tour à tour, son oncle et son frère, eux aussi attablés autour de la pâtisserie. Elle leur sourit, elle est heureuse. Puis ses yeux se tourne à nouveau vers la bougie, presque consumée. Il est temps de faire un vœu. Je souhaite qu'on ne soit jamais séparés. En rouvrant les yeux, la petite fille souffle ses bougies sous les regards attendris de sa famille. Sous les applaudissements, elle se sent pousser des ailes et ne peut s'empêcher de rire la bouche grande ouverte en frappant elle aussi dans ses mains. Sans plus attendre, son oncle lui tend un paquet, un seul petit paquet, qu'elle ouvre avec avidité. C'est une poupée barbie. Heureuse de son présent, elle l'agite en l'air pour la montrer à tout le monde. Bien trop pressée, elle ne goutera même pas au gâteau. Elle ira plutôt jouer dehors avec son cadeau. Cadeau qu'elle laissera de côté au bout d'un quart d'heure, comme le font tout les enfants. Jamie a cinq ans aujourd'hui et même si elle n'a pas eu plus d'un cadeau, elle est heureuse puisque sa famille est là, avec elle.

26 MAI 2018, 17H36.
Le temps passe tellement vite. Les gens se croisent et se recroisent sans vraiment s'en rendre compte et c'est bien dommage. C'est peut-être parce qu'elle a toujours vécu dans la misère que Jamie a vite ouvert les yeux. Pour elle, ce qui compte c'est les gens; et surtout sa famille. Elle n'a pas envie de passer à côté de choses qu'elle regrettera plus tard. Elle apprend à vivre aux côtés des personnes qu'elle aime le plus au monde. Évidemment, ce n'est jamais facile. Ça aussi elle l'a vite compris. Et encore une fois, sa situation financière en est pour beaucoup. Elle vient justement de rentrer du boulot. Sur le chemin, elle a même fait quelques courses qu'elle s'empresse de mettre dans le frigo avant de filer en douce. Si elle fait tout ça, c'est qu'elle déteste le fait d'être la seule dans la famille à ne pas travailler pour subvenir à leurs besoins. Peu de jeunes filles sacrifieraient les études pour faire ce qu'elle fait. C'est tout à son honneur bien que personne ne soit au courant. Elle ne va avoir que treize ans après tout.

26 MAI 2018, 23H12.
Ça doit bien faire deux heures qu'ils sont allongés sur le lit tout les deux. Deux heures qu'il est en train de parler de leur père et de l'envie de le retrouver. Jamie ne se souvient pas de lui. Il avait accepté un nouveau travail très loin d'ici un an après la mort de leur mère, c'était aussi un an après la naissance de Jamie. Blottie dans les bras de Noah, son frère, elle commence lentement à fermer les yeux, épuisée par sa journée. Ces deux-là sont comme les dix doigts de la main. Ils sont toujours fourrés ensemble bien qu'ils aient presque huit ans de différence. Beaucoup de points communs les unissent, notamment celui de se chamailler. Mais pour eux, c'est un jeu, un moyen de rendre la vie moins monotone. Toujours là l'un pour l'autre, ils s'aiment et ça se voit. Entre entre-aide, fous rires et nuits passés ensemble, rien ne pourra les séparer. Enfin, c'est ce que croyait Jamie.

13 NOVEMBRE 2022.
« Depuis plusieurs année, j'économise de l'argent pour .. Le retrouve. Je veux le revoir. Il me manque tellement et puis je sais où il vit. J'ai assez d'argent pour me payer un billet d’avion.. Je vais au Groenland. Je vous écrirai des lettres et .. ». En entendant ces mots sortir de la bouche de Noah, Jamie s'effondra sur place. Tristesse. Trahison. Peur. Colère. Ils étaient tellement proches, comment avait-il pu lui cacher son départ. Ou plutôt pourquoi ? Mais ces questions resteront sans réponse puisque le soir-même, son frère quitta la maison, sans un mot de plus. Leur oncle, qui les avait élevé depuis toutes ces années et qui les considérait comme ses propres enfants était dans une colère noire. Jamie aurait du réagir de la même façon. Mais elle en était incapable. Elle l'aimait trop pour ça. C'était même tout le contraire. Elle était heureuse. Heureuse qu'il ait pris son envol. Heureuse qu'il réalise enfin son rêve. Même si elle doit pleurer toute sa vie, elle était heureuse.

28 JANVIER 2025, ASAVIKS.
C'est bien la première fois que Jamie posait un pied en dehors de sa Corée du Nord. Elle avait quitté son oncle, son pays, son boulot, ses amis. Tout ça pour quoi ? Pour seul but de retrouver son frère et son père par la même occasion. Grâce aux lettres et aux mails qu'il leur envoyait, mais auxquels elle n'avait pas pu répondre, elle savait qu'il résidait ici, tout les deux. Tout comme son frère, elle avait économisé en cachette. Le vide en elle depuis qu'il était partie était tellement grand que même son oncle n'avait pas réussi à l'en empêcher. Malheureusement, à son arrivée, rien ne se passa comme elle l'avait espéré. Elle avait bien retrouvé son père, scientifique au dôme, orné à présent de cheveux gris. Mais pas son frère. D'après les explications de son paternel, Noah avait été tué par l'un des habitants de cette ville. C'est là que son père lui avoua la particularité d'asaviks. Incapable pourtant de quitter le dernier endroit où son défunt frère avait vécu, elle ouvrit son propre garage, grâce aux compétences qu'elle avait acquis en travaillant très jeune avant de sombrer dans l'alcool pour oublier cette tragédie.

C'est son père qui l'a mise au courant pour toutes ces races vivant à asaviks. Évidemment, il a volontairement omis de lui parler du fameux projet. Elle ne sait donc pas le pourquoi de leur existence, pourtant elle vit avec eux. Sachant qu'une de ces « choses » a tué son frère, elle devrait tous les haïr. Mais elle n'en fait rien. La preuve qu'elle a bien un peu de sympathie envers ces gens. Ou plutôt de la pitié. Oui, elle les plaint d'être nés comme ça, d'être nés pour ça. La seule personne qu'elle ne plaint pas, c'est celle qui a tué son frère.