Il fut déposé à la porte d'un hôpital de Séoul, un matin de printemps. Aucun indice sur l'identité de ses parents, si ce n'était sa couverture et la peluche qui l'accompagnait. L'infirmière qui le trouva la première soupira, devinant déjà la vie qui attendait l'orphelin, déjà âgé de quelques semaines. Il ne lui fallu que peu de temps avant de sortir un crayon et un morceau de papier de son uniforme, pour y noter un simple nom, un de ceux qu'elle gardait pour ses propres enfants, mais dont cet enfant abandonné avait bien plus besoin. Tae Hwan.
De sa vie à l'orphelinat et dans ses familles d'accueil, Tae Hwan n'en garde aucun souvenir, si ce ne sont quelques rares flash, auxquels il ne porte que très peu d'attention. Pour lui, il a toujours vécu « ici », avec ses dons et ceux des autres races qui l'entourent. Il avait sept ans, lorsqu'il s'est « réveillé » au Groenland, soudain doté d'une seconde nature. Mais les souvenirs flous qu'il conservait de sa vie d'avant ne survécurent pas à la croissance, et moururent avec toutes ses questions. Sa première transformation, vers l'âge de dix ans, fut si violente et douloureuse qu'il l'effaça également de sa mémoire, bien qu'il ne pu rester que quelques minutes seulement sous sa forme légendaire. Tae Hwan, finalement, n'a plus aucun souvenir de ce qu'était sa vie avant ses dix ans. Il développa un caractère méfiant, particulièrement devant toute formes d'éducation : il refusait catégoriquement qu'on lui montre un chemin quelconque, et tenait à tracer sa vie seul et sans aucune aide. On l'a vite qualifié d'enfant têtu, voire difficile, alors que ses souvenirs perdus étaient finalement la cause de tous ses problèmes. Ne pas avoir de passé lui semblait terrifiant, et aussi jeune fût-il lorsqu'il s'en rendit compte, cette prise de conscience fut déterminante et fit de lui ce qu'il est encore aujourd'hui. Il fit le désespoir ses parents adoptifs qui, quoiqu'ils firent, ne purent jamais le convaincre, ni le forcer, d'apprendre à lire et à écrire. Ce n'est que bien plus tard, pour le bien de ses études, qu'il s'est finalement décidé à rattraper son retard, et seulement parce-que personne ne le lui demandait.
La thanatopraxie est un métier qui, très jeune déjà, l'intrigua. La mort en elle-même était un état incompréhensible pour le petit Tae Hwan, mais il savait qu'après celle-ci, on ne gardait que peu de temps l'apparence de la vie. Aussi décidé-t-il que ce métier tenait du miracle et qu'il devait en apprendre les secrets, coûte que coûte. Ce fut la seule chose qui le motiva à avoir des notes correctes à l'école, et qui, surtout, fit qu'il n'abandonna pas les études dès que les grands auraient eu le dos tourné. Solitaire et peu sociable, sa taille et, en grandissant, sa carrure, suffisaient à éloigner de lui ses camarades, ce qu'il ne regrettait en rien. Seule la compagnie des hydres lui était un tant soit peu agréable, et encore ne devait-elle pas dépasser quelques heures, voire quelques minutes. Personne n'appréciait vraiment Tae Hwan, car lui-même, finalement, n'appréciait personne particulièrement. Il est encore aujourd'hui mal à l'aise avec les vivants, préférant largement celle des morts qui, eux au moins, ne le jugent ni ne lui parlent de ce qu'il préfère taire. Ainsi, pour éloigner les autres, cultive-t-il un certain machisme et une façon de parler relativement rustre, qui sont loin de lui donner bonne réputation.

Les autres races ne l'intéressent tout simplement pas. Si les hydres trouvent un minimum d'intérêt à ses yeux, il n'en est pas de même de la hiérarchie et il a bien du mal à accepter le fait d'avoir une femme ou des hydres plus jeunes en tant que supérieur. Néanmoins, il n'aspire pas à régner, aussi se contente-il de ne pas les côtoyer plus qu'il n'est nécessaire. Quant aux autres, comme dit plus haut, il n'y porte de l'intérêt que lorsqu'elles se trouvent sous ses instruments. Qu'ils se transforment en dragon ou en licorne, ils sont tous les mêmes et les laisse à leurs querelles de clans, tant qu'ils ne viennent pas l'ennuyer. Auquel cas, ils le regretteront très certainement.