Le reflet de la lune qui ondulait sur l'eau du lac passionnait profondément Hae Ji. Cela faisait tellement longtemps qu'il n'avait pas pris tant de plaisir à admirer autre chose que du sang s'échappant lentement d'une morsure. Il ressentait un bonheur intense à rester assis, seul, face à cette magnifique étendue de jais. La lumière fantomatique de l'astre nocturne brisait les calmes flots, à peine agités par le vent, et c'était le plus beau tableau du monde. Une soudaine pureté et un semblant de renaissance, voilà ce que ressentait le vampire en l'observant ; autrement dit, tout ce qu'il n'était pas. Pour sûr, il comptait revenir à cet endroit afin d'y trouver un peu d'espoir, se ressourcer et oublier sa soif démesurée. Peut-être serait-ce même son bien le plus précieux ? A n'en point douter, finalement. Une telle beauté ne pourrait jamais vraiment être à lui mais rien ne lui interdisait de le croire.

Un bruit suspect percuta pourtant de plein fouet le silence religieux qui régnait sur le monde. Les yeux clairs du démon tournèrent à droite puis à gauche, sans que rien ne se reproduise de nouveau, mais il n'était pas fou. Jetant un dernier regard au nouvel amour de sa vie, il soupira puis scruta les lieux, à l'affut. L'obscurité était ce qu'il préférait. Non pas parce que la nuit était le jeu de tout vampire, mais plutôt parce que le clair de lune était d'une traitrise jouissive. Il dissimulait et révélait tout à la fois. Ainsi, il savait que ce qu'il cherchait finirait par laisser son insouciance le trahir. Un corps mouvant, chaud, plein de délicieux sang capable de faire pulser ses veines de mort-vivant. Miam, il s'en régalait à l'avance, quitte à entacher la magnificence du lac. Sa langue passa à la commissure de ses lèvres avant de s'appuyer contre l'une de ses canines. Les coquines semblaient déjà toutes prêtes.
Hae Ji fit un simple pas en avant. Rien. Un second ? Toujours rien. Un autre... Proie ciblée, les enfants. Sa démarche s'accéléra, le menant à un énorme chêne dont le tronc était assez large pour cacher son corps entier. En plus d'être beau et apaisant, l'endroit était propice à la chasse. N'y avait-il rien de plus parfait ? En tendant un peu l'oreille, il l'entendait très distinctement, à présent. Se faisant le plus discret possible, il contourna donc l'arbre pour enfin voir de ses yeux perçants son très prochain repas. Ooooh... C'est qu'il avait de la chance, cette nuit-là. Une ravissante demoiselle, les longs cheveux blonds s'agitant dans la brise de minuit, la silhouette agréable... Mais avec grand plaisir. Le prédateur avança légèrement avant d'user de sa rapidité pour bloquer la belle entre ses bras, la tenant par la taille, ses lèvres déposant déjà un délicat baiser sur sa douce peau. « Hé bien, Boucle d'Or, qu'est-ce que tu fais là ? » Il la maintenait fermement pour ne pas qu'elle s'échappe, espérant secrètement un semblant de résistance pour mieux se prêter au jeu du chasseur et de la biche. Mais tout cela n'était qu'un petit caprice de vampire, déjà lassé de ce quotidien. Hae Ji porta sa main au menton de sa futur victime, remontant sa bouche à son oreille. « Enchanté ! » Il avait suffit d'un murmure de sa part pour que toute une histoire commence.

Les nuits, ces derniers jours étaient toutes plus belles les unes que les autres. Aucun nuage ne venait masquer la lune et les étoiles, et elle pouvait rester des heures à les contempler de sa fenêtre. Toutefois, depuis la dernière pleine lune, elle évitait soigneusement de sortir par ces nuits où la lune se faisait mère et complice des créatures les plus sombres. Mais puisque celle-ci n'en était pas une, elle n'hésita pas longtemps avant de se décider à faire sa course quotidienne près du lac, qu'elle avait appris à apprécier depuis son arrivée. C'était là qu'elle se sentait le mieux, et le plus à son aise lorsque lui prenait l'envie de retrouver son âme de corbeau. Récemment, elle avait pensé à adopter une nouvelle forme : un animal plus terre-à-terre, grâce auquel elle pourrait sentir la mère terre sous ses pieds. Mais se séparer de son premier animal, celui qui avait été dessiné pour elle, lui semblait encore bien trop difficile et elle doutait de retrouver le plaisir que peut procurer des ailes chez un autre animal. Interrompant ses pensées, elle s'empara d'une veste et quitta la chambre pour rejoindre au plus vite le lieu de son rendez-vous quotidien. Yanna préférait mille fois une compagnie bruyante à celle du vent et de la solitude, mais paradoxalement, elle n'aurait abandonné ses escapades nocturnes pour rien au monde. Peut-être n'était-elle jamais aussi seule qu'elle le pensait et qu'en elle, l'animal battait perpétuellement des ailes, lui rappelant que jamais elle n'aurait à se sentir abandonnée. La jeune femme sourit à cette pensée et passa ses bras autour d'elle, comme pour étreindre cette petite partie d'elle qui s'exprimait plus à son aise grâce à un bec qu'à ses propres lèvres. Et c'est perdu dans ses pensées qu'elle traversa les bois qui la séparait du lac. Les bois était silencieux, si ce n'était quelques bruissements de feuilles soulever par le vent et quelques froissements d'ailes d'oiseaux nocturnes. Apaisée, elle s'arrêta à la lisière des bois pour profiter encore un peu de la quiétude des lieux, et du reflet de la lune sur les eaux calme du lac. La nuit n'aurait pu être plus parfaite.
Mais soudain, ce fut comme si un étau se refermait autour d'elle et elle étouffa un cri lorsque des lèvres vinrent frôler la peau nue de sa nuque. « Hé bien, Boucle d'Or, qu'est-ce que tu fais là ? » La voix, douce et chaude, avait quelque chose de terriblement menaçant. Néanmoins, tout en elle s'enflamma et elle reconnu là l'un des prédateurs qu'elle redoutait le plus depuis sa première rencontre avec l'un d'eux au plus profond des Carpates. Yanna se retourna vivement, mais elle n'eut pas le temps de dire ou de faire quoique ce soit qu'il lui relevait fermement le menton, et qu'elle n'avait d'autre choix que de plonger son regard dans le sien. « Enchanté ! » Et à ce simple mot, tout en elle hurla de désespoir et de terreur, persuadée qu'elle finirait cette fois-ci, non pas dans le ventre d'un loup, mais exsangue et blanche sur le sol, son sang sur les lèvres de celui qui la fixait à présent d'un regard gourmand. « Lâchez-moi. » parvint-elle finalement à répondre, en lui lançant tant bien que mal un regard meurtrier. Les bras qui l’enserraient lui faisaient mal, et la trace de ses lèvres sur sa nuque lui brûlait encore la peau. Elle se retint néanmoins de se débattre, sachant qu'il n'attendait que cela, et déterminée à ne pas lui offrir ce plaisir. « Lâchez-moi immédiatement. »

« Lâchez-moi. » Quoi, c'est tout... ? Hae Ji n'avait donc droit à rien d'autre qu'un ordre aussi peu convaincant qu'une grand-mère en déambulateur qui vous menacerait de vous courir après. Ce genre de proie ne présentait strictement aucun intérêt pour le beau vampire, mais à la voir si belle et si pure... il avait soif. Très soif. Mais cela serait mentir que de dire qu'il ne pensait pas à cette beauté éblouissante qui se mariait si bien au divin lac et qu'il s'apprêtait sans doute à entacher. Quelle étrange sensation. Bon nombre de fois, il avait apprécié les gracieuses courbes du corps féminin ou le visage angélique des femmes les plus impures mais il s'agissait là de tout autre chose. Qui était-elle ? Depuis quand les humains semblaient-ils si précieux ? Il aurait aimé répondre à ces questions mais il y avait quelque chose de plus important encore. Il l'intriguait beaucoup, ce regard autoritaire et dénué de peur. Du moins, en surface. Il était quasiment certain de ressentir un certain effroi en elle, bien caché. Pendant une fraction de seconde, les yeux bleus du démons s'étaient accrochés à ceux de la belle et avaient inversé les tendances. Le mal portant un regard plein de pureté sur le Bien qui lui jetait presque de la haine à la figure. Hae Ji, n'aimant pas vraiment cela, rapprocha davantage son visage du sien, détaillant les pores de sa peau en laissant innocemment trainer ses lèvres autour de sa bouche. Une bouche parfaite, d'ailleurs, comme tout le reste. Il lui sembla même qu'elle effleura la sienne, rien qu'un instant, avant qu'il ne reporte ses crocs à son cou en humant son odeur. C'était un petit jeu dangereux. Et le voilà qui était freiné par quelque chose qui émanait d'elle. Mais quoi ? Ses canines le démangeaient. Ses gestes le trahissaient, ses bras resserrant leur emprise sur la demoiselle. Sa langue passait et repassait contre ses dents, attendant la morsure et le goût du sang. Mais non. Rien.
Hae Ji soupira avant de glisser sa main le long du bras de la blondinette, lui attrapant ensuite fermement le poignet pour la garder bien à lui. Un petit sourire se dessinant aux coins des lèves, il libéra enfin tout le reste de son corps, veillant à ce qu'un prompt mouvement ne vienne pas la soulager de son état de prisonnière. Et puis l'on en revint à un échange de regards perçants. « Je serais bien incapable de dire ce qui m'empêche de m'approcher de toi aussi près que je le voudrais. » Le vampire aimait tout particulièrement souligner les difficultés qu'il rencontrait pour en trouver les solutions beaucoup plus rapidement. Et même si quelque chose lui disait qu'elle garderait pour elle le secret de son aura protectrice, il la ferait au moins parler. « Tu ne sembles pas ravie de me rencontrer mais je suis curieux. Tu me dis immédiatement qui tu es ou je te croque jusqu'à ce que tu daignes ouvrir cette délicieuse bouche ? » D'un geste presque violent, il ramena son corps vers le sien en tirant sur son poignet encore captif puis passa sa main libre dans les longs cheveux de la jeune femme pour mieux voir son visage. Vaincre le mal par le mal. On le lui avait souvent répété, ce pourquoi s'il devait se forcer à la mordre pour savoir quelle était la cause de ce passage d'un plaisir fou à une corvée, alors il le ferait. Et puis, avant tout, il lui laissait le choix.

Leur regard était comme scellé l’un à l’autre, mais elle pouvait bien mettre autant de courage qu’elle le voulait dans le sien, il était indéniablement en position de force. Yanna savait, sentait au fond d’elle, qu’il aurait mieux valu regarder ailleurs. Ailleurs, et surtout pas au fond de ses pupilles, dilatées par une faim incompréhensible et effrayante. Vivre aux côtés d’Ana lui avait ôté quelques idées reçues, mais certes pas cette peur ancestrale, aussi vieille que le monde. Mais elle était incapable… incapable… de regarder ailleurs ou même, de penser correctement.
Lorsqu’il approcha son visage du sien, elle dévoila sa gorge, ses lèvres se tendant vers celles, entrouvertes, assoiffées, du vampire. Quelque chose en elle hurlait. Son corps tout entier tremblait entre les doigts de la créature. Elle suintait la peur par tous les pores de sa peau, mais elle ne pouvait faire autrement que se laisser manipuler, toucher, caresser, car c’était là tout le pouvoir des vampires, au charme terrible. Sa tête retomba d’elle-même en arrière lorsqu’il approcha sa bouche de sa peau, et elle sentit ses lèvres, sa langue, son souffle. Elle imaginait déjà les dents mordre sa chair, le sang couler, et cet affreux…. Affreux… bruit de succion qui accompagnerait sa mort. Les minutes passèrent. Un oiseau s’envola. « Je serais bien incapable de dire ce qui m’empêche de m’approcher de toi aussi près que je le voudrais. » Il l’avait en partie délivrée de son étreinte, mais la tête lui tournait toujours, et elle n’était toujours pas capable de quitter la créature du regard. Aucun mot ne sortit de la bouche qu’elle ne put que garder close. Qu’était-un « mot », déjà ?
« Tu ne sembles pas ravie de me rencontrer mais je suis curieux. Tu me dis immédiatement qui tu es ou je te croque jusqu'à ce que tu daignes ouvrir cette délicieuse bouche ? » Avant qu’elle ne puisse dire quoique ce soit, il l’avait ramené à lui et sentait sa main glisser entre ses mèches. Ce contact lui répugnait en même temps qu’il lui procurait un des plus grand plaisir qu’elle avait jamais pu connaître. Le corps privé de toute force, l’esprit de toute volonté, elle laissa son front aller contre l’épaule de son assaillant. « Vous… » Un mince sourire vint habiller ses lèvres rouges, et elle parvint à rassembler assez de forces pour poser ses paumes sur le torse du vampire, et se servir de cet appui pour s’éloigner ne serait-ce qu’un peu. Elle n’en pouvait plus d’être si proche, enivrée à l’excès de l’odeur du prédateur. Il fallait qu’elle se transforme, mais pour cela, elle devait gagner du temps, et surtout, surtout… s’échapper de ces bras, plus solides que l’acier. « Vous ne croyez pas que je vous dévoilerais aussi facilement ma seule défense… » La tête baissée, souhaitant éviter à tout prix un nouveau contact visuel, elle ne cessait de sourire. « Vous pouvez mordre, déchirer, boire, tuer… » Elle s’arrêta. Deux minutes. Trois. Essoufflée. « Mais ne comptez pas sur moi pour satisfaire votre curiosité. »

C'était tellement angoissant de ne plus sentir son cœur battre, de ne plus l'entendre pomper tout ce sang qui rendait vivant. Hae Ji avait mis du temps pour s'accommoder à ce silence qui régnerait en lui jusqu'à ce que la mort soit assez rusée pour le prendre, lui, déjà sans vie. Les premiers jours qui suivirent sa transformation, il crut mourir. Enfin... Si toutefois le pouvait-il vraiment. Mais encore dans son âme d'humain, il ne pouvait comparer ce manque à aucune autre épreuve. Le manque du cœur. On ne le sent pas nécessairement au quotidien, tout juste quand il s'excite par peur ou par amour. Mais quand il s'arrête... On sent bien la différence. Et c'était, selon ses souvenirs, à devenir fou. Malgré cette perte, il se rappelait à la perfection des battements affolés et de tout ce qu'ils provoquaient dans leur acharnement et il était certain que s'il avait été vivant, son cœur n'aurait eu d'autre choix que de suivre la cadence. Cette demoiselle lui faisait-elle perdre la raison ? C'était peut-être là sa seule chance de ne pas gouter à la douleur d'une morsure. Pourtant, il ressentait une étrange sensation que le sang aiderait peut-être à effacer, depuis qu'elle avait posé sa main sur son torse. Ah oui... Elle pouvait témoigner de sa monstruosité : Hae Ji avait honte d'être mort et de cependant se tenir debout. « Vous pouvez mordre, déchirer, boire, tuer… Mais ne comptez pas sur moi pour satisfaire votre curiosité. » Et en plus, il était faible face à elle. Elle ne luttait pas vraiment contre son emprise, ni même contre son charme, semblait-il, mais elle faisait preuve d'un courage et d'une détermination à doucement braver cette force inhumaine par de la poésie. C'était une délicate éloquence, bien étrange, et dont il aurait immédiatement dû se méfier en effleurant ces divines lèvres qui devaient en déstabiliser plus d'un. Tsk. Pourquoi devait-il tomber sur la perle rare que ses crocs ne pouvaient pas se résoudre à croquer ? C'était un réel problème et sans doute la seule chose qui brisait la perfection de cette magnifique nuit.
C'est à regret, presque, que le vampire la repoussa d'un simple geste un peu plus loin encore. Il ne pouvait boire son sang, hé bien il n'allait pas la garder captive pour l'effrayer. Étrangement, il ne voulait pas lui faire peur inutilement et voir s'effondrer cette douceur dans son regard qu'il avait cru percevoir sous la couche de haine. Et si juste avant il s'était dit qu'il la dévorerait simplement pour connaître son nom, il s'en voyait finalement incapable. « Soit. Tu me troubles un peu trop, de toute façon. » Un petit rire s'échappa d'entre ses lèvres, moqueur, marquant le ridicule de sa situation. Comment expliquer ce qu'il sentait en lui. C'était le genre à utiliser une magie vaudou ou une bizarrerie de la sorte ? Pour ainsi hypnotiser un maître des charmes et des sens, il fallait être... spécial. « Vas-t-en, pars vite d'ici. Tu n'es pas en sécurité, seule en ces lieux. » Il n'allait pas la laisser filer si c'était pour qu'elle se fasse dévorer toute crue deux pas plus loin, ou quelle se fasse assassiner par un type louche. Oui, les humains, parfois, étaient bien plus dangereux que toutes les créatures du dôme.
Hae Ji était resté imperturbable face l'envie de fuite de la jeune femme qui se sentait à des kilomètres, mais il n'en était pas moins sensible en son fond. Il avait besoin de sang mais l'idée de lui prendre le sien le répugnait soudain. « Ou dis-moi simplement qui tu es. Si je voulais te faire du mal, tu ne serais déjà plus de ce monde. » Certes, sa première intention n'était pas des plus nobles mais, en effet, si vraiment il avait voulu la priver de sa vie, il n'aurait pas attendu si longtemps et surtout, il ne se serait aucunement préoccupé de son nom.

Il la repoussa brusquement, et ce qui n’avait sans doute été pour lui qu’une pichenette, manqua la faire tomber. Elle parvint néanmoins à rester debout, ses bras et ses côtes souffrant encore de l’emprise du vampire. Le souffle presque coupée par la surprise, elle eut tout de même le réflexe de poser les yeux sur lui, craignant qu’il ne profite de son trouble pour l’attaquer par surprise. Certes, il n’avait guère besoin qu’elle tourne la tête pour la vider de son sang, mais si elle devait mourir ce soir, c’était en face qu’elle voulait regarder la mort.
« Soit. Tu me troubles un peu trop de toute façon. » Yanna fronça les sourcils, sans comprendre. Lui ? Troublé ? N’était-ce pas lui le prédateur ? N’était-ce pas lui dont les crocs étaient capable de lui déchirer la chair comme elle déchirait un vulgaire morceau de papier ? Elle se redressa lentement, sans le quitter des yeux. « Vas-t-en, pars vite d’ici. Tu n’es pas en sécurité, seule en ces lieux. » Et il y avait quelque chose de particulièrement cocasse à se voir interpellé de la sorte par un vampire, qui était sans doute, pour l’instant, le plus grand danger qu’elle courait en ces lieux. Instinctivement, elle recula d’un pas, plus que tentée par la fuite. Il ne lui aurait fallu qu’un instant de concentration pour s’envoler, et ne lui laisser en souvenir que quelques plumes d’un noir de jais. Mais elle rechignait à se transformer devant lui, craignant de perdre ce qu’elle considérait comme sa seule défense. D’un autre côté, que se passerait-il lorsqu’elle lui tournerait le dos ? Dévoilerait-il ses crocs et lui donnerait-il la chasse comme à un vulgaire animal ? La perspective ne lui plaisait guère, aussi restait-elle devant lui, immobile et silencieuse. « Ou dis-moi simplement qui tu es. Si je voulais te faire du mal, tu ne serais déjà plus de ce monde. » Ses traits restaient impassibles, bien que ses paroles la touchaient plus qu’elle ne l’aurait voulu. Quelque chose en elle lui criait de lui faire confiance, quand une autre aurait tout donné pour fuir. Yanna ne savait plus qui écouter, et ne parvenait pas à détacher son regard de celui du vampire, qui, elle pouvait aisément le deviner, ne l’avait relâché qu’avec regrets.
Le silence s’éternisa. Elle ne savait que faire, que lui répondre. La vérité ? Et qu’en ferait-il ? Quel intérêt pouvait bien avoir son nom ? Ses dons ? N’était-elle pas qu’un festin écarlate parmi d’autres ? Une bise glacée vint la frôler, et elle frissonna, ne sachant si c’était réellement de froid, de peur, voire même de curiosité. « Comment vous faire confiance ? Comment être certaine que vous ne comptez pas tout simplement me… me chasser ? » Tant bien que mal, elle se redressa, rassemblant tout le courage et la force qu’elle possédait encore, au sein de ses pupilles. « Je ne vous donnerai jamais ce plaisir. » Sa voix tremblait, et elle n’avait sans doute rien de bien impressionnant, fluette dans ses vêtements légers. Mais elle refusait de perdre le semblant de dignité qui lui restait, et de montrer davantage une peur qu’il sentait de toute façon assez bien. Elle ne se laisserait pas troubler par ses mots, elle ne l’écouterait plus, il aurait fallu être fou pour penser une minute qu’elle pouvait être considérée autrement que comme un simple repas.

Un soupir brisa le silence qui s'était lourdement installé quand elle eut une nouvelle fois refusé. Décidément, Hae Ji n'était pas tombé sur la plus facile des créatures. Belle et insaisissable. Quel cliché. Cette jolie demoiselle semblait croire qu'il allait la manger toute crue, sans pitié. Il ne fallait pas exagérer, tout de même. Il en aurait été capable si seulement elle n'était pas si pure. Et si jamais elle ne l'était pas vraiment, alors il y avait un sacré problème et le beau vampire ne parvenait pas à savoir d'où il venait. Mais soit. « Tu crois peut-être que les gens comme moi ne pensent qu'à boire du sang à longueur de journée ? » Il trouvait ça tellement comique, le stéréotype du grand méchant vampire qui égorge de magnifiques princesses par dizaines sans se lasser. Oh, peut-être qu'il y avait des gens de ce genre, mais lui, il n'en avait vu que dans les livres, et il était bien assez heureux de sa condition pour parfois gouter à certains extrêmes. Comme vider deux petites personnes jusqu'à l'avant-dernière goutte. Oui, décidément, même lui ne ressentait pas ce besoin immuable du sang de façon permanente. Alors quoi. Ce n'était pas parce qu'une petite blondinette refusait de se faire croquer qu'il allait la violer sur place alors qu'il n'éprouvait même pas l'envie d'y goûter. Bref.

Jouer les ébahis par tant de beauté, ça allait bien deux secondes. Mais là, Hae Ji en avait marre. « Que faut-il donc que je fasse ? Tu ne sembles pas vouloir partir mais, de toute évidence, tu cherches à fuir. » Il ne le sentait que trop. Il lui avait dit de quitter les lieux mais elle restait là, devant lui. Elle ne semblait même pas tétanisée alors pourquoi ne pouvait-elle pas simplement l'écouter ? Franchement, ces humains. Quelle prise de tête. « Je vais t'aider à choisir. » Pendant quelques secondes, il avait hésité, mais puisqu'elle ne partait pas, il allait en profiter. Revenant rapidement jusqu'à elle pour poser ses mains de part et d'autre de son visage, il plongea ses yeux dans les siens et s'immisça dans sa tête, puisque son avantage était clairement celui-ci. Ah ce qu'il adorait ça. "Tu ne veux pas m'obéir ? Hé bien tu vas le faire quand même !" Une jouissance extrême pour le démon. Pourtant, lorsqu'il voulu la contraindre à enfin cracher son prénom, il n'en fut pas capable. Oh. Elle n'était... pas humaine ? Hae Ji fronça les sourcils. C'était donc son instinct qui l'avait empêché de boire du sang empoisonné. Voyons. Si elle était une de ces créatures du dôme complétement étranges, elle n'aurait pas aussi peur de lui. Ainsi donc, si elle n'était ni humaine, ni plus forte, elle devait être Animorph, dans la mesure où une jolie petite louve comme elle n'aurait pas attendu pour lui arracher la tête à la première occasion. Un sourire se dessina alors sur ses lèvres. Pourquoi ne s'était-elle pas déjà transformée pour lui filer entre les doigts ? Mh. Il avait au moins le pouvoir de la faire parler, un maître-mot : influencer. Se n'était pas contrôler mais, elle aurait moins de force pour lutter. Cette petite insolente. Le regard du vampire se fit donc plus intense, plus soutenu, ses iris s'éclaircissant davantage. « Dis-moi ton prénom, maintenant. » Il n'était pas très patient, le pauvre.