Fils d'un père dans le secteur des affaires et d'une mère médecin, je n'ai jamais atteint les objectifs qu'ils visaient pour moi. Ils auraient voulu me voir faire des années d'université, suivre leur chemin comme le bon fils unique que je suis, mais non. Je n'en avais pas envie et étrangement, ils ont respecté ce choix. Je suis né ici, à Asaviks. De deux parents tout ce qu'il y a de plus humains. Nos voisins ont toujours été un peu bizarres, mais moi je les aimaient bien. Jeune, ma mère refusait que je m'approche de leur maison. Or, je trahissais son interdiction dans le but unique de rejoindre la gamine de l'autre côté de la haute clôture blanche qui séparait nos deux maisons. Les enfants s'attachent vite aux autres gamins, en général. « Ce sont de mauvaises fréquentations. », « Tu ne devrais pas fréquenter la petite May Lee » et etc. Tout ça, tous ces mots entraient dans une oreille et sortaient de l'autre côté. Je trouvais toujours le moyen de la rejoindre pour jouer avec elle. Que ce soit dehors ou à l'école. Déjà à ce bas âge, je n'appréciais pas quand un autre garçon l'approchait pour lui proposer de venir jouer à la corde à danser ou même à la marelle. Jaloux ? J'avais simplement peur qu'elle ne me place de côté ou se lasse de ma compagnie.

Ce n'est jamais arrivé. Amis depuis le bac à sable – et sûrement même avant – et nous avons continué de l'être pendant de nombreuses années. Devenant de plus en plus proche et moi, je bavais de plus en plus. Quand ai-je compris que j'étais amoureux de ma meilleure amie ? Je ne me souviens plus vraiment, je suppose que c'est une réalité qui s'est glissé graduellement sous mes yeux et dont je prenais conscience de jour en jour. Toutefois, je ne trouvais jamais le moment propice pour lui en parler. Une fois. Une fois je me suis réveillé un matin avec la ferme intention de tout lui dévoiler, parce que ce secret ne pouvait plus durer et je préférais encore vivre la douleur d'un râteau que de vivre dans le doute. J'ignorai que ma journée avait été terriblement mal choisie, sans parler de l'heure à laquelle j'avais enfin réussi à mettre la main sur May. Ce soir-là, j'avais réussi à la retracer dans la forêt et malgré ses protestations sèches qui me disaient de m'en aller au plus vite, je ne lui obéit pas. C'était maintenant ou jamais. Sauf que la présence de la pleine lune en avait décidé autrement. J'ignorai jusqu'à aujourd'hui cet aspect de Hwang. Je le découvris de mes propres yeux. Je me souviens avoir eu un instant de panique, un mouvement de recul et je m'étais pris les talons dans une racine. La dernière chose que je me souviens de cette nuit c'est cette énorme bête bipède qui avait sa gueule beaucoup trop près de moi à mon goût.

Cet événement remonte à il y a quatre ans et encore présentement, j'ai du mal à me remémorer cette situation. Si le lendemain a été merveilleux – outre les douleurs, la fièvre, les migraines, les maux de ventre, la viande crue et tout le tralala –, la veille ne me rappelle pas de très bons souvenirs.

Je n'ai rien de l'être le plus intelligent au monde. J'ai beau faire tous les efforts possibles, je demeure dans la moyenne et ça me convient. Me démarquer des gens qui m'entourent ne fait pas partie de mes priorités. De toute façon, on me remarque déjà bien assez comme ça. J'ai tendance à foutre la merde sur mon passage, à m'emmêler dans mes propres pieds, à casser un verre en voulant le laver... Le meilleur exemple que je peux vous donner est lors de la saint-valentin de l'an dernier : j'avais acheté des roses pour May Lee. Un beau bouquet, bien emballé et chacune avait été choisie avec soin pour s'assurer que le coin de leurs pétales ne fanaient pas. Tout ça pour me prendre une flaque de boue en pleine tronche à seulement quelques mètres de la maison, les écrasant au passage. Quand on dit que je n'ai pas de chance, en voilà la plus belle preuve au monde. Au moins, on peut voir que je suis plein de bonnes intentions et que ce n'est pas la volonté qui manque. Est-ce que cette malchance m'arrête ? Pas du tout. Les risques de me faire arroser par une voiture qui passe dans une flaque d'eau ou même de me faire renverser en traversant un feu rouge n'ont jamais représentés des obstacles réels à mes yeux. Lorsque je tombe, je me relève, c'est aussi simple que cela. À quoi bon s’apitoyer sur son sort ? La roue tourne et la vie continue.

Je ne suis jamais à l'heure. J'essaie, constamment, mais rien ne fonctionne. C'est comme si le temps était toujours en accéléré, mais seulement pour moi. Je ne parviens jamais à me pointer à l'heure à mes rendez-vous, que ce soit avec May ou une tout autre personne. C'en est presque pathétique. C'est un mauvais plis qui a toujours fait partie intégrale de mon être. Il y a longtemps que j'ai accepté le fait que je me fais souvent réprimander car je suis toujours en retard. Même quand je vais au travail. Si May Lee fait l'erreur de m'attendre, elle arrivera dix minutes après le début de l'émission, en même temps que moi. Je vis l'instant présent au meilleur de mes capacités et demain est un autre jour. C'est encore une mauvaise manie qui me joue des tours. Je n'aime pas planifier, préparer des choses à l'avance. Je vis au gré de mes émotions et me laisse porter par mon intuition. Si mes pieds me disent d'entrer dans une boulangerie, même si je n'ai nullement besoin d'y aller, je vais y entrer et probablement y acheter un petit quelque chose à partager avec ma douce. Quand je pense à moi, je pense aussi à elle. Je suis loin d'être égoïste. Ce qui ne veut pas dire pourtant que j'aime qu'on touche à mes affaires, mais je ne vais jamais me fâcher pour si peu.

Je ne suis pas une personne gênée, pas du tout. J'aime bien parler avec tout le monde de tout et de rien. Engager la conversation à mes yeux n'a rien de bien sorcier, que je connaisse la personne devant moi ou non. Être un loup-garou ne rime pas avec être farouche. Je n'apprécie pas la discrimination ou l'injustice. Je suis pour l'égalité autant des sexes que celles des races ou des statuts sociaux. Pauvre, riche, hydre, humain, femme, homme, tout ça c'est pareil. Ce ne sont que des barrières que l'Homme a défini depuis fort longtemps et il ne sera jamais trop tard pour apprendre à voir par-delà celles-ci. Plus rondement, j’ai un très bon sens de l’humour, je rigole pour un rien et j’aime bien faire des blagues pourries qui ne font rire que moi. Je suis très modeste, mine de rien, et je n’aime pas vraiment qu’on me complimente. Toutefois, je suis très critique et quand un truc ne me plait pas, je le dit haut et fort.

Une opinion peut souvent se rattacher à un préjugé et ça, personne n'en est à l'abri malheureusement. Même moi qui suis fermement pour l'égalité de chacune des créatures demeurant à Asaviks ( et même en dehors ), je dois admettre avoir certaines frayeurs à l'égard de quelques unes ou un attachement plus particulier pour d'autres. Je suis un loup-garou. Donc, la logique voudrait que j'affectionne ma race, mais non. Elle me fait peur, au fond. Comment ne pas être effrayé à l'idée d'un énorme loup bipède qui s'avance vers vous, toutes griffes dehors et la gueule ouverte ? Je dois cette crainte à May Lee et oui, il m'est déjà arrivé de le lui dire. Il n'y a pas de quoi en faire un drame pour autant.

Les vampires devraient être mes rivaux si on se fit aux bonnes vieilles histoires. Or, non. Je n'ai pas peur de leurs crocs puisque de toute façon, me mordre les empoisonneraient car je ne suis ni un animal à part entière, ni un humain. Les animorphes semblent plutôt bien comme race. Se changer en un animal à part entière, avoir le plein contrôle sur sa forme, pouvoir user de cet atout pour faire mille et une choses. Oui, d'un côté, j'aimerais être comme eux, mais on ne choisi pas son destin et maintenir un désir qui ne deviendra jamais réalité est une chose bien inappropriée. Les humains sont tout ce qu'il y a de plus banal. Jusqu'à il y a environ quatre ans, j'en étais un, moi aussi. Quant aux quatre autres races d'animaux mythiques, je ne les vois pas comme des supérieurs hiérarchiques ou quoi que ce soit. Ils ont leurs avantages et leurs défauts, comme tout le monde. Toutefois, j'éprouve une certaine retenue à l'égard des hydres et des dragons. Ces créatures sont plutôt grosses et l'une pourrait facilement m'empoisonner tandis que l'autre pourrait me laisser crever comme un glaçon en plein milieu du Groenland.