« Oh, mon cœur. Tu es perdu ? » Oui, j'étais perdu, tout seul, sans personne. J'avais sept ans, il me semble, et je me voyais déjà mourir de faim ou de fatigue dans un carton, à l'abri des regards indiscrets. Enfin, pas consciemment, bien sûr, vu mon âge. Mais elle est arrivée par je ne sais quel miracle. Elle me paraissait tellement gentille et pure dans ce clair-obscur digne d'un tableau de Caravaggio que je lui ai fait confiance sans chercher à comprendre, n'ayant plus aucun repère auquel me fier dans ce monde d'horreur. Elle fut mon seul espoir dès lors qu'elle m'adressa un simple mot. C'est ainsi que je devins le repas quotidien d'un vampire qui m'avait recueilli pour s'éviter la chasse de l'appétissante chair humaine, mais je lui devais bien la vie, alors je me laissais faire comme un joli jouet. Elle avait au moins eu le mérite d'attendre que j'aie douze ans pour boire mon sang une fois par jour, avec souvent quelques extras. Je vivais à ses crochets : elle me nourrissait comme l'aurait fait une mère, elle me chérissait et me considérait comme son enfant. Mais on sait tous qu'un vampire, ça n'a plus de cœur. J'y croyais. Dur comme fer, même ! Ce n'était cependant bel et bien qu'une illusion qui m'aidait surement à accepter ma vie telle qu'elle était. Bref, j'ai grandi comme un gosse presque normal – mais à ce sujet, j'ai encore quelques doutes. J'ai pris de l'âge, du cerveau – parce que, sans me vanter, je suis assez intelligent – et pas mal de femmes. Ha. Ben quoi ? Faut bien profiter des rares plaisirs de la vie dans ce monde de chiens. J'avoue même avoir gouté à ma sauveuse ; nous n'avions aucun lien de parenté et elle était vraiment magnifique. Heureusement qu'elle s'était faite transformée alors qu'elle était encore jeune et fraiche, ça aurait été du gâchis. De plus, au-delà d'une grande reconnaissance et un semblant d'affection pour cette femme qui me dégustait quand elle le voulait, il n'y avait pas grand chose. Et je suis sûr que vous avez remarqué que je parle au passé. C'est dommage – ou pas – mais elle est morte, morte et re-morte. Je n'ai jamais su quel âge elle avait si on cumulait ses années de vampirisme mais on va dire qu'elle est morte jeune. Ha, elle aurait pu partir tranquillement et me laisser à mon triste sort – qui finalement s'est révélé être une délicieuse liberté – mais elle m'a transformé, un beau jour. « Tu es assez charmant, maintenant, pour que je puisse graver cette beauté dans l'éternité. » m'a-t-elle dit. Enfin, c'était peut-être plus spontané et moins poétique mais c'était l'idée. Elle m'a soutenue, le temps de la transformation, autant qu'elle l'a pu. Et puis finalement, elle s'est faite tuer par je-ne-sais-qui et très honnêtement, je m'en fous, j'en suis même assez ravie. Je ne sais pas ce qu'elle voulait faire de moi en tant que vampire, mais cette vie pleine de sang et de chair me va à ravir. Percer la peau de mes crocs est en effet un réel plaisir. Je suis bien plus puissant que ce petit garçon faible et sans défense. Vraiment, les humains ne sont utiles qu'à mes papilles.

Et si ce n'est pas assez clair, je me définis comme beau, sexy et intelligent. Donc on peut rajouter narcissique sur les bords. Un brin cynique. Je suis un fervent utilisateur de l'ironie et je ne manque jamais de faire remarquer avec la plus belle franchise du monde les idioties de la race humaine. Ou pas que. Il y a, après tout, des imbéciles un peu partout. Mais détrompez-vous, je ne suis pas qu'un salopard. Je suis attendrissant, doux, touchant parfois, je l'avoue. Ha. Et puis, je pense être assez drôle. Non ? Si cela ne vous suffit pas, faisons plus ample connaissance dans une discussion ouverte. Tsk.

A vrai dire, quand je vois un humain et que je meurs d'envie de boire son sang, je me rends bien compte de ma monstruosité. C'est assez flagrant. Mais quand je vois les autres espèces. Ha. Je me dis plutôt que j'ai de la chance ! Vous les avez vu ? Enfin, cela dit, on a beaucoup en commun quand on se compare à ses faiblards de petits humains tout... faibles, ouais. On les croque et pouf, ça s'évanouit. Ça devient même lassant, si peu de résistance. La question est : est-ce que je les déteste parce qu'ils sont ridiculement impuissants ou parce que je suis vampire ? Ca doit être le premier. Je n'ai pas souvenir qu'un humain aie détesté une vache parce qu'il mangeait du bœuf bourguignon.