La lune versait le lait de son rayon dans la chambre, et Yanna le suivit des yeux, jusqu'à sa source. Accoudée à la fenêtre de sa chambre, elle regardait d'un œil rêveur l'astre qui luisait de toutes ses forces. Un sourire vint s'accrocher à ses lèvres, complétant le tableau songeur qu'elle devait offrir au moindre passant. La lune, depuis toujours, exerçait sur elle un attrait tout particulier, en partir du à cette étrange influence qu'elle semblait avoir sur le monde entier. Était-ce magique ou purement scientifique ? Elle n'avait aucune réponse à sa portée et se complaisait dans son ignorance. La déesse ronde pouvait bien conserver tous ses secrets, elle n'en paraissait que plus belle, que plus grande. Un dernier sourire et elle s'arrache avec regret à sa contemplation, pour revenir à des taches plus triviales, comme le repassage qui l'attendait. Mais elle eut beau fixer le fer durant de longues minutes, nulle volonté ne vint, et sa main trouva rapidement le chemin de sa penderie pour en sortir une veste, qu'elle enfila rapidement avant de s'échapper par la porte d'entrée. C'est presque en riant, avec un zeste de culpabilité, qu'elle s'élança dans la nuit, avec pour seule compagne la lune, qui l'observait de son regard bienveillant.
Ses pas prirent instinctivement la direction de la forêt, et du lac qui le bordait. Yanna s'y était déjà rendu plusieurs fois depuis son arrivée en ville, attirée par le calme des lieux, et loin d'être au courant que les environs étaient réputés dangereux par les soirs de pleine lune. Rien ne semblait pouvoir arrêter sa course, et le vent froid qui faisait gonfler sa jupe ne semblait que renforcer sa détermination à s'enfoncer dans les bois. Elle retint son envie de prendre sa forme animale au bord de la route, à l'instant même, tenant plus à son anonymat qu'à cette sensation grisante de solitude et de liberté qui l'étreignait. Elle ne s'arrêta qu'au bord du lac, près duquel elle s'accroupit quelques minutes, admirant l'astre ami et aimé qui s'y reflétait dans toute sa gloire. Elle sourit à nouveau, laissant sa main glisser sur les ondes, se demandant si elle n'allait pas rester là toute la nuit, laissant les étoiles protéger son sommeil. Yanna rit de son propre projet, avant de se relever, sachant trop bien que s'il y avait véritablement des loup-garous et des vampire dans les environs, elle offrirait alors le plus doux des repas.
Réajustant sa veste, elle se tourna vers la forêt, non sans jeter un dernier regard vers le lac qu'elle laissait derrière elle. Le pas sûr, connaissant déjà les abords de la forêt qu'elle avait parcouru des dizaines de fois, elle cherchait un coin discret où laisser ses vêtements le temps d'aller faire un tour dans les airs et, pourquoi pas, rejoindre la lune. Rapidement, elle trouva une cachette qui lui convint, et avait déjà ôté sa veste lorsque le bruit d'une brindille qui se brise retentit derrière elle. Figée, le souffle court, elle n'osait faire le moindre mouvement. C'est seulement lorsque la présence supposée devint certaine, alors qu'elle sentait des yeux brûler sa nuque, qu'elle se retourna, le plus lentement du monde. Ce qu'elle vit alors lui fit écarquiller les yeux, et elle retint un cri, portant la main à ses lèvres.

Il aurait eu beau prier à tous les Dieux existants, ceux de la science et de la raison également, personne n’aurait pu empêcher cette nouvelle pleine Lune d’arriver. On aurait pu croire qu’avec le temps, il s’y ferait, peut-être même qu’il en tirerait du plaisir. Mais ce dégoût, cette amertume ne s’effaçait jamais. Ce malaise, cette douleur presque, lorsqu’il voyait la Lune au zénith et qu’il sentait son corps changer sans son accord. C’était un sentiment tout particulier de voir et sentir ses os allonger, il pouvait témoigner de la terreur qui l’avait pris la première fois. L’étape de voir les poils allonger le rendait nauséeux, heureusement pour lui, il arrivait souvent que sa conscience ne tienne pas le coup jusque-là. Comme si elle en avait assez vu pour demander une pause. Il devenait la bête, violente, stupide, pareille aux autres parcourant la forêt à la recherche de quelque chose à tuer sans but. Une bête horrible à ses yeux, des lambeaux de vêtements déchirés pendants sur son corps velu, les yeux brillants dans la pénombre des arbres. Il avait parfois de courts flashs, des réveils furtifs dans lesquels il voyait des troncs et des feuilles, flous, mais le reste était toujours aussi brumeux. Cette nuit-là, il était allé beaucoup plus loin dans les bois, près du lac, question de n’y croiser personne. Mais dans la petite ville on finissait toujours par croiser quelqu’un et parfois dans des occasions peu propices à la bonne entente.

Car cette nuit, il était la bête. Et la bête s’était arrêté dans son errance levant le nez pour capturer une essence dans l’air frais du soir, l’odeur sucrée d’une femme. Le monstre avait donc rebroussé chemin pour suivre l’effluve jusqu’à sa source. Agile dans la forêt, comme si c’était son élément naturel, contrairement au corps humain qu’il habitait, il se faufilait entre les troncs, retrouvant son chemin. Mais malgré tout, son poids faisait craquer les racines et les brindilles sous ses pattes où Lance avait appris à ne pas mettre de chaussures pour éviter que la transformation ne les défonce. Il l’aperçut alors, la bête ne pris aucun moment pour l’observer la détailler, il n’y vit que de la viande, et en prédateur, elle avança. Une brindille craqua et elle se retourna vers le monstre velu qui la regardait, sa gueule grande ouverte sur des dents pointues. Si la jeune femme retint son cri, le loup-garou lui, ne retint pas son hurlement caractéristique, jetant la tête en arrière pour le pousser. C’était instinctif, une question de territoire. À présent que cela était fait, il avait tout le loisir de se jeter sur sa proie pour la dépecer. Avec un grognement il envoya vers elle une de ses pattes griffues, question de la faire tomber au sol et éviter qu’elle ne se sauve alors que la bête assouvissait ses instincts stériles.

Avec un mélange d'horreur et d'excitation pure, elle vit le loup-garou lever la tête et laisser échapper le cri qu'elle-même n'avait pas osé pousser. Ses yeux parcoururent la fourrure de l'humanoïde, insatiable. Certes, ce n'était pas le premier lycan qu'elle croisait, mais elle n'avait guère eu l'occasion d'en côtoyer de si près. Partagée entre l'envie de fuir et d'observer plus longtemps la bête, elle tremblait de tous ses membres, incapable de produire le moindre son ou de faire le moindre mouvement. Autour d'elle, plus rien ne bougeait et tout s'était tu. Seul le souffle rauque de l'animal, ses grognements, et le son de ses pattes frappant le sol résonnaient encore à ses oreilles. Sa poitrine se soulevait au rythme rapide de son souffle, court, agité, mais elle avait à peine conscience de son trouble. Elle exultait. Une part d'elle hurlait d'horreur devant la certitude de terminer ce soir sa vie dans l'estomac d'un loup monté sur deux pattes, mais l'autre n'avait qu'une envie : tendre le bras pour toucher la fourrure de l'animal. Elle l'imaginait déjà : épaisse et chaude, mais rêche et sans douceur. La représentation même de toute la sauvagerie qu'était ces créatures.
Des griffes aiguisées lui rasèrent le bout du nez, et elle se jeta en arrière, tombant lourdement sur le sol. Retenant un gémissement de douleur, elle revint enfin à la réalité, et écarquilla les yeux devant les crocs dénudés du loup-garou. Incapable de détourner le regard, elle se sentit soudain oppressée, bientôt gagnée par la terreur étouffée jusqu'ici par son exaltation. Elle vit avec horreur la bête se pencher sur elle, sûre de sa victoire et, elle devait l'admettre, il n'avait aucune raison de penser autrement. Et alors que le lycan fondait sur elle, son instinct hurla et le corbeau qui l'habitait reprit le dessus, recouvrit son corps de plumes noires et la fit voler vers les cieux, loin des râles de l'animal qui hurlait en dessous d'elle.
Yanna ne pu voler très longtemps, terrassée par la peur, et se posa plus loin, tous les sens en alerte. Rien pourtant, ne laissait supposer que la bête était encore près d'elle. Elle se doutait qu'il ne mettrait pas bien longtemps à la retrouver, et qu'elle était encore plus en sécurité dans les airs, mais elle avait besoin de retrouver sa forme humaine pour retrouver un minimum de calme. Entièrement nue, elle frissonna alors qu'elle retrouvait le contact du vent sur sa peau. Cela eut au moins pour effet de calmer sa peur et ses tremblements, et peu à peu, elle sentit son corps et son esprit s'apaiser. Au bout de quelques minutes, elle pu de nouveau respirer normalement. Un loup-garou. Elle venait de faire face à une véritable lycan, et malgré sa terreur précédente, elle n'aspirait qu'à revoir la terrible créature qui s'était dressée devant elle, affamée, magnifique. De nouveau lui vint cette irrésistible envie de sentir la sensation de son pelage sous les doigts, mais elle se mordit violemment la lèvre pour effacer toute tentation de son esprit. Elle avait beau avoir parfaitement conscience du danger, elle n'en aspirait pas moins.
Ses esprits retrouvés, elle prit la décision de retrouver la bête, mais cette fois de ce contenter de l'observer de loin, sans quitter sa forme animale. Au petit matin, elle tenterait de retrouver ses vêtements, mais jusque là, c'était la bête et seulement elle qui occupait ses pensées.

Il ne comprit pas, une seconde il avait la femme sous lui, à la merci de ses dents et griffes, puis l’instant d’après, elle n’y était plus. Le monstre leva ses yeux vers l’oiseau qui s’envolait inexplicablement vers le ciel, grognant de frustration. Il avait perdu sa proie. Mais incapable de comprendre autre émotion que son instinct de chasse, il se remit à son errance à travers la forêt, cherchant une nouvelle odeur à suivre. Il la repéra à nouveau, la fragrance de cette proie qui s’était envolée hors de son champ restreint de compréhension. Oubliant toute subtilité il courut, écartant les troncs et les branches de ses griffes pour rejoindre sa proie le plus vite possible, dans sa hargne sauvage. Mais lorsqu’il arriva où le guidait l’odeur, il n’y avait plus personne, plus une âme qui vive. Mais le loup-garou, sans connaître l’abattement, renifla les alentours et continua son errance.

La nuit reprit alors son cours normal, alors que la bête faisait les cents pas dans son petit carré de forêt. Jusqu’à ce que le matin commence à pointer son nez, ses pas ralentirent, comme si son énergie était aspirée par le soleil qui reprenait lentement ses droits. Le petit matin arrivé, il poussa un dernier hurlement, rauque et épuisé, comme agonisant, avant de se laisser tomber contre un tronc d’arbre, un bras accroché dans le creux d’une branche. Lentement, la transformation prit le chemin inverse. Les poils recouvrant en totalité son corps disparurent, comme tirés vers l’intérieur, laissant à la place du grand monstre la petite silhouette fluette et rosée d’un simple humain, paraissant bien chenue et pâle dans ses vêtements déchirés.

C’était le pire des lendemains de veille. Comme après ces fêtes où on avait l’impression de s’être fait passer dessus par un camion à dix roues, où l’on ne savait pas où l’on se réveillait, ce qu’on avait fait la veille. Sauf qu’avec ces lendemains de veille, on était presque sûr d’avoir fait quelque chose de regrettable. Lance ouvrit les yeux avec un gémissement, ôtant son visage de l’herbe et son bras pendu inconfortablement sur une branche. Regardant autour de lui, il ne reconnut pas cette parcelle de la forêt où il ne s’était jamais réveillé. Quelque chose avait dû se passer cette nuit pour le faire dévier de sa route habituelle. Il s’examina, à part la douleur générale dans son corps, pas de blessure, ni de sang étranger, il n’avait pas dû se battre… Enfin, il l’espérait. Un peu chancelant et nauséeux, il se releva en s’appuyant sur le tronc, tenant les lambeaux de tissus en place de son autre main pour cacher ce qu’il avait à cacher. C’était le temps de la marche de la honte jusqu’aux cabanes, avec les autres silhouettes efflanquées des loups-garous aux vêtements déchirés. Lance étant dans les plus penauds et honteux de tous. Il s’étira un peu, regardant au tour. Eh ben, ça n’allait pas être de la tarte de retrouver son chemin ce matin. Fidèle à ses habitudes, avant de tenter toute manœuvre, de sa main libre, il replaça ses cheveux et enleva un peu de poussière et de terre de sur son visage, son torse et ses mains.

A peine s'était-elle envolée qu'il surgissait là où elle sr trouvait encore quelques secondes plus tôt. Elle frissonna sous ses plumes, de soulagement certes, mais également d'excitation contenue. Yanna n'avait aucune intention de retourner chez elle, pour se remettre de ses émotions : elle comptait bien suivre l'animal la nuit durant, bien à l'abri, tout près de ses étoiles. Le lycan chercha son odeur durant de longues minutes, et son acharnement à la retrouver la terrifia. Si elle n'avait pas été ce qu'elle était, si elle n'avait pas pu fuir ou s'envoler, sans doute serait-elle déjà morte à l'heure qu'il est. Un simple humain, jamais, ne pourrait échapper au flair et aux griffes acérées d'un tel animal. La jeune femme n'en fut que plus intriguée. Perchée sur la branche d'un pin, elle poussa un coassement sonore pour marquer son exaltation, seul cri qu'elle s'était autorisé depuis sa rencontre avec la créature. En-dessous d'elle, celle-ci ne broncha pas, et finir visiblement par abandonner l'idée de la retrouver, puisqu'elle baissa le museau et quitta son ancien abri pour se fondre à nouveau parmi les ombres des bois. Secouant ses ailes, Yanna s'envola à sa suite, déterminée à ne plus le perdre de vu jusqu'au matin suivant. (…)
Une lueur orangée grandissait à l'horizon, et elle devina que l'aube n'était pas loin. Déjà, le loup-garou ralentissait, la faim dévorante relâchant peu à peu son emprise. Le corbeau descendit, ralentit son vol, jusqu'à ce que la créature cesse sa course folle après avoir salué la nuit d'un dernier hurlement. La jeune femme, elle, vint se percher sur une branche basse d'un arbre voisin, l’œil noir aux aguets. Elle suivit avec fascination le retour à l'humanité de la créature, et souffrit pour lui à mesure que griffes et crocs se rétractaient, que ses muscles fondaient et que ses poils, par poignées, retournaient veiller sous sa peau, jusqu'à la prochaine pleine lune. Elle regretta encore de n'avoir pu y passer la main, et sa paume lui démangea sous ses ailes, consciente qu'en cet instant, le lycan était plus vulnérable que jamais. Elle ne prit cependant pas le risque de s'approcher, et bougea légèrement sur sa branche, espérant chasser l'envie pressante de venir tourner autour de ce corps qui subissait l'une des plus violentes et douloureuses transformations qui soient. Encore quelques secondes, et c'était maintenant un homme qui se tenait juste en dessous d'elle, le souffle court, rauque, les vêtements déchirés. On aurait pu croire qu'il venait simplement de sortir d'une vilaine bagarre. Sans se lasser, curieuse de la façon dont pouvait bien réagir un homme suite à une telle métamorphose, elle l'observa longuement alors qu'il semblait vérifier qu'il ne lui manquait aucun membre. Peut-être s'inquiétait-il de voir du sang ? Un éclair de compassion la traversa lorsqu'elle devina que comme elle, beaucoup d'entre eux ne devait pas se voir autrement qu'un monstre. Elle coassa doucement, souhaitant peut-être ainsi lui communiquer son savoir et sa compréhension. Mais son cri se coinça dans sa gorge lorsque l'homme leva finalement la tête. La surprise lui fit écarquiller ses yeux d'oiseaux et de femmes, et elle relâcha toute sa concentration, retrouvant brusquement sa forme humaine. La branche sur laquelle elle se trouvait se brisa nette, et elle laissa échapper un cri étranglé alors qu'elle atterrissait lourdement sur le sol, derrière un buisson, à quelques pas seulement du loup-garou.

Il n’était pas du genre nerveux, du moins, pas tout le temps. Mais qui ne serait pas nerveux le matin, après une telle nuit? Et qui ne serait pas nerveux, d’entendre, quelques secondes après ce dur réveil, le craquement d’une branche et le bruit sourd d’un objet s’écrasant à travers les buissons et feuillages, tout cela doublé d’un cri aigu? Nerveux ou pas, Lance sursauta, manquant de lâcher ses lambeaux de vêtements dans ce petit bond sur le côté. Quelque chose, ou quelqu’un venait de tomber. Gardant ses distances, il regarda la branche effectivement cassée, puis le buisson. Peut-être avait-ce été un animal? Mais il aurait juré avoir reconnu les éclats d’une voix humaine, à moins qu’il ait la berlue, ce qui n’était pas une hypothèse à écarter complètement vu les circonstances.

Prudemment, il avança vers le buisson où il avait cru entendre atterrir, faisant bien attention de ne pas se faire sauter au visage par quelconque créature de la forêt. Viles créatures de la forêt, vraiment, il détestait la forêt. Le jeune homme à moitié nu poussa les petites branches du taillis pour mieux y voir et jeta un coup d’œil. Quelle ne fut pas sa stupeur d’y découvrir un corps de femme, et surtout, la roseur d’un corps nu. Sa première réaction fut de reculer pour ne plus voir, lâchant le buisson.« Seigneur! Je suis désolé. », avait-il lâché ce faisant. Cela fait, il se mit à se questionner. Cette femme était-elle vraiment tombée de l’arbre? Il lui semblait qu’il l’aurait vu, il avait quand même bien regardé dans les environs. De voir une femme nue comme ça dans un buisson, c’était déjà moins étrange, parce que n’était-il pas lui-même vêtu de lambeaux de tissus en pleine forêt. Ce qui le mystifiait vraiment, c’était de comprendre d’où elle pouvait sortir. Il n’était pas un pervers, ni un voyeur, mais il alla regarder une deuxième fois. Un détail l’avait accroché, même s’il n’aurait su dire quoi. Il vit une chevelure blonde. Puis, finalement un visage. Et là, il eut vraiment l’impression que quelque chose clochait, quelque chose lui échappait. Puis cela le frappa. Bouche bée, il balbutia : « Ma-Mademoiselle Yanna? » Eh oui, même dans ce genre de situation, il restait poli. En parlant de politesse, oubliant l’étrangeté de la scène, il se rappela qu’il était en train de fixer. Et cela devenait franchement pire maintenant qu’il reconnaissait ladite jeune femme. Cette jeune femme qu’il avait rencontrée alors qu’elle semblait se promener avec son frère Edge. Était-ce vraiment la même que celle-ci? Nue dans un buisson? Ah oui, politesse et bienséance, il recula une fois de plus, mais bien plus loin, alla se cacher derrière un buisson aussi, car il n’était pas le plus habillé des hommes non plus. La gêne passa avant son besoin de comprendre et de donner de la cohérence alors qu’il s’excusait une fois de plus, peut-être autant qu’il réfléchissait à haute voix : « Je ne voulais pas regarder. Oh mon Dieu, c’est inconvenant, milles pardons... » Pas une seconde dans cette petite frousse, il avait pensé que la jeune femme aurait pu le voir se transformer.

Elle retint un gémissement de douleur, comme si elle pensait encore pouvoir passer inaperçue. Sa cheville lui faisait mal, et elle avait une jolie plaie sur le bras droit, mais tout semblait encore à sa place. Yanna se redressa tant bien que mal, oubliant un instant qu'elle n'était qu'à quelques pas d'un quasi-inconnu, et surtout, qu'elle n'avait plus ses plumes sur le dos. En l’occurrence, elle n'avait plus rien. « Seigneur ! Je suis désolé. » Elle se tourna vivement dans la direction de la voix et vit une tête qui disparaissait bien vite de l'autre côté du buisson. Par chance, sa position était telle qu'il n'avait sans doute rien vu d'autre que de la peau, mais cela ne l'empêcha pas de chercher instinctivement du regard quelque chose pour se couvrir. Et le fait est qu'il n'y avait rien, si ce n'étaient quelques feuilles, à peine plus larges que sa paume. Elle ne pu donc que se replier sur elle-même, en remerciant le ciel de ne pas être tombée en plein milieu du chemin, ou juste sous le nez du jeune homme. « Ma-Mademoiselle Yanna ? » L’interpellée sursauta en entendant son nom, et ouvrit de grands yeux. Elle avait presque oublié la raison de sa chute et de sa transformation, et voilà que celle-ci lui tombait à nouveau dessus : « Lance. » dit-elle à son tour, ayant reconnu le frère de celui qui s'était auto-proclamé son protecteur attitré, depuis qu'il l'avait retrouvé en mauvaise posture. Ils ne se connaissaient que très peu, mais leur seule et unique rencontre avait suffit à Yanna pour savoir qu'elle appréciait grandement le jeune homme. Et voilà qu'il se retrouvait à nouveau devant elle aujourd'hui, en pleine forêt, les vêtements en lambeaux, et une nuit de chasse derrière lui. Lance Coal était un loup-garou. Oh, mon dieu.
Elle se redressa lentement, tout en prenant soin de laisser la plus grande partie de son corps dissimulé par le buisson. La jeune fille le vit reculer jusqu'à un second buisson, à quelques pas de là où elle se trouvait. Elle l'observa un long moment, sans rien dire, partagée entre la stupéfaction et l'amusement. D'aussi loin qu'elle se souvienne, elle ne s'était jamais retrouvée dans une situation aussi embarrassante et comique à la fois. « Je ne voulais pas regarder. Oh mon dieu, c'est inconvenant, milles pardons... » dit celui qui avait manqué l'avaler toute crue quelques heures plus tôt. Yanna ne pu retenir son rire et secoua doucement la tête. « Ce n'est rien, nous sommes à peu près quitte, je crois. » Elle faisait bien sûr allusion aux morceaux de tissus épars que portaient Lance et qui n'étaient plus vraiment dignes d'être appelés « vêtements ». Elle sourit, ne sachant comment dissiper un malaise qui était sans doute de ceux qui s'incrustent et perdurent, tant la situation semblait ridicule. Ne sachant que dire, elle se mordilla nerveusement la lèvre inférieure, évita le regard de Lance, devinant qu'il n'était sans doute pas d'humeur à aborder le sujet de sa lycanthropie, comme elle en mourrait d'envie. Bien sûr, l'idée d'expliquer sa présence, en même temps que celle de l'absence de vêtements, ne lui vint absolument pas à l'esprit. « … je » Commença-t-elle, sans avoir la moindre idée de la façon dont elle pourrait terminer sa phrase. Elle n'allait tout de même pas se mettre à parler du temps qu'il faisait ! Rah. Tant pis, elle était incapable de tourner autour du pot, et que ce soit impoli ou non, se jeta à l'eau « Est-ce... ça n'est pas... trop douloureux ? » dit-elle finalement, la tête légèrement baissée mais les pupilles rivées sur le visage du loup-garou, à seulement quelques mètres d'elle.

Elle avait beau dire qu’ils étaient quitte, ce qui était pas mal le cas, compte tenu du peu de vêtements qu’ils avaient à eux d’eux, mais c’était toujours aussi gênant… Et étrange maintenant qu’il y pensait. Lance n’avait répondu à la jeune femme que par un petit rire nerveux, baissant les yeux, mais les interrogations avaient réussi à finalement pointer dans son esprit. Si elle était tombée de la branche, comment n’aurait-il pas pu la voir? Une femme nue, ça ne passait pas vraiment inaperçu. Et de plus, la grande question, que faisait-elle là? La première hypothèse logique était qu’elle soit aussi comme lui, comme tous les gens qui se réveillaient nu comme des vers dans la forêt. Cependant, quelque chose clochait dans cette idée. Il ne l’avait jamais vue aux cabanes, d’un, et de deux il y avait quelque chose dans son attitude qui le faisait vraiment douter qu’elle soit un lycan.

Un peu de suspicion était donc apparu dans ses yeux, malgré son sourire poli et doux, habituel, tout en contraste avec son identité nocturne. Il aurait bien voulu lui demander ce qu’elle faisait ici, mais la bienséance le paralysait. Le jeune homme tentait de trouver une formule élégante pour le faire, mais vu la situation, c’était plutôt ardu. Yanna le pris alors de court, prenant la parole également. Attentif, il avait relevé la tête, juste pour l’entendre s’arrêter en cours de route. Pensant qu’elle parlait des raisons de sa présence, il tenta de l’encourager à poursuivre : « Oui? » Mais ce qu’elle finit par dire était d’une toute autre nature. Si ce n’était pas trop douloureux? Il la considéra alors avec perplexité. « Je vous demande pardon? » il ne voyait pas de quoi elle voulait parler. À moins que… Son expression affable se décomposa, s’assombrit alors qu’il comprenait à quoi elle pouvait faire référence. Même à la vue, cela semblait douloureux. Dans ce cas on ne pouvait pas dire que les apparences étaient trompeuses. « Donc… Vous avez vu. » Voilà qui était plus qu’inconvenant. Cette jeune femme qu’il connaissait à peine avait découvert son secret, son sombre et horrible secret. Même si ce n’était pas la pire, cela l’emplissait de honte, il détourna le regard aussitôt. « Ce n’est pas un spectacle très agréable, n’est-ce pas? » , avait-il ajouté avec un sourire amer.

Mais cela ne changeait pas la question qui trottait dans sa tête. Peut-être était-ce puéril de vouloir ainsi détourner la conversation vers un sujet moins compromettant, mais en même temps il devait savoir. « C’est indiscret, mais encore une fois, question d’être quitte, vous vous êtes retrouvée ici comment de votre côté? » Ça pouvait avoir l’air un peu cocasse, chacun dans son buisson à se lancer dans ses questions. Mais le visage anguleux de Lance était clairement sérieux. Ce n’était plus si drôle, maintenant qu’il savait qu’elle l’avait vue. C’était si gênant, inélégant. Vraiment, cela l’insupportait de savoir qu’il avait été vu. S’il avait eu assez de tissus pour couvrir son arrière, il aurait tourné les talons pour fuir au plus vite.

Elle vit son visage se décomposer lorsqu'il comprit ce qu'impliquait réellement sa question, et durant quelques secondes, elle s'en voulu d'être allée si loin. Sans doute aurait-il mieux valu qu'elle s'en aille sans plus un mot, s'excusant peut-être de son apparition et de son intervention plus que déplacée. Mais c'était sans compter sa curiosité, aussi ne bougea-t-elle pas, déterminée à attendre la réponse du jeune homme. La bombe était de toute façon déjà lancée, et il n'y avait rien qu'elle ne puisse faire pour l'arrêter. « Donc... Vous avez vu. » Elle acquiesça, sans un mot. « Ce n'est pas un spectacle très agréable, n'est-ce pas ? » Il évitait soigneusement son regard et son sourire sonnait si faux qu'elle en eut presque mal. Yanna sentit son cœur se serrer, mais elle ne su quoi lui répondre, si ce n'était qu'il disait vrai. Il était inutile de tenter de lui faire croire le contraire, il savait bien mieux qu'elle de quoi il parlait. Sa curiosité et son admiration lui brûlaient pourtant les lèvres, et elle aurait voulu trouver les mots parfaits pour exprimer son intérêt, mais elle n'était pas sûre que ce moment soit le bon, aussi préféra-t-elle se taire et attendre qu'il la regarde à nouveau. Elle prenait le risque qu'il s'éclipse sans rien ajouter, mais qui était-elle pour le retenir ? Ils n'étaient jusqu'ici liés que par un blondinet un peu trop protecteur, et rien n'aurait pu les amener à penser qu'ils se retrouveraient un jour dans une telle situation.
« C'est indiscret, mais encore une fois, question d'être quitte, vous vous être retrouvée ici comment de votre côté ? » Ouch. Elle aurait sans doute préféré qu'il se sauve plutôt que d'aborder un tel sujet. Sa question était cependant légitime et, il n'avait pas tort, un secret en valait bien un autre. Yanna baissa un instant les yeux, cherchant ses mots. Un simple, « je suis animorph. » aurait sans doute suffit, mais elle se rendit compte qu'elle n'avait encore jamais prononcé ces paroles, et qu'elles étaient bien trop impersonnelles et scientifiques pour qu'elles s'y reconnaissent réellement. Peut-être, se dit-elle finalement, que le plus simple était encore de le lui montrer. La douleur à sa cheville s'était atténuée, et le sang ne coulait plus au niveau de sa plaie. La nuit avait certes été longue, mais l'excitation et la surprise la protégeaient encore de la fatigue, aussi se sentit-elle capable d'invoquer ses dernières forces pour reprendre sa forme animale. Son corps se couvrit de plumes noires, ses bras s'allongèrent pour prendre la forme d'ailes et bientôt, il n'y eut plus de Yanna qu'un coassement et un oiseau noir, qui vint se poser sur l'épaule de Lance. Elle lui donna un simple coup de bec, presque affectueux, comme une consolation après sa nuit de douleurs. Mais n'ayant plus la force de s'attarder, elle reprit bien vite son vol pour reprendre sa place derrière son buisson, et retrouver sa forme humaine. Lorsqu'elle apparu de nouveau au jeune homme, elle lui lança un sourire timide. « Comme ça. » Et elle attendit, patiemment, sa réaction.

Peu importe le scénario qu’il se serait imaginé pour expliquer la présence particulière de Yanna dans ces bois, jamais l’un d’eux n’aurait pu s’apparenter à la réalité. Devant ses yeux franchement ébahis, il la vit se transformer. Mais pas comme lui, rien de cela ne s’apparentait à lui. Cela ne semblait ni douloureux, ni disgracieux. Et au lieu d’y avoir devant lui un monstre velu et sanguinaire, ce n’était qu’un oiseau. Lance regarda, bouche bée, l’oiseau qui vola jusqu’à lui pour se poser sur son épaule. « Incroyable. », avait-il murmuré. Aussitôt venu, l’oiseau retourna à son buisson. S’il n’avait pas été convaincu la première fois, il eut une deuxième fois la preuve, rien dans les mains, rien dans les poches, pas de truc, qu’il s’agissait bien de Yanna. Le jeune homme était tout bonnement stupéfait. Bien sûr, pour quelqu’un qui était obligé de se transformer en loup aux pleines lunes, cette manifestation surnaturelle n’aurait pas du être si exotique, il n’avait jamais entendu parler d’une telle chose. Un être humain qui pouvait ainsi se muter en animal. C’était brillant, totalement brillant. Pendant un instant, cette découverte lui avait même fait oublier sa sombre honte de toute à l’heure, face à son état. La jeune femme, après son court spectacle avait conclut presque avec timidité. Bien sûr, il n’était pas dans sa tête, mais à ses yeux, il n’y avait nul besoin d’être gênée et niveau gêne il en connaissait un rayon. Remarquant qu’elle attendait probablement une réaction de sa part, il demanda, visiblement curieux : « Et vous pouvez le faire quand bon vous semble ? » Quelle chance. Comme il aurait tout donné pour, à défaut d’être un être humain normal, avoir un tel contrôle sur ses « capacités » si on pouvait les qualifier ainsi. Comme pour lui-même, hochant la tête, il répéta : « Incroyable, vraiment. » Sauf qu’une petite minute...

Cela expliquait peut-être sa nudité, c’était déjà ça, mais pas plus ce qu’elle faisait ici. Était-elle une habituée du bois ? L’avait-elle suivi ? Bien qu’il doutait fortement de cette hypothèse, ils se connaissaient à peine tout de même. Mais Lance ne sentait pas le courage de demander plus de détails, comme il y avait eu déjà beaucoup de révélations en si peu de temps. Il alla une fois de plus replacer ses cheveux de sa main libre en tentant de briser le malaise qu’il était peut-être le seul à sentir en ironisant : « C’est fou les rencontres qu’on peut faire dans ces bois... Vous êtes probablement la première d’entre elles qui me paraisse recommandable. » Il rit discrètement, se disant que cela sonnait affreusement faux de toute façon. Il était jaloux. Il maudissait le destin, ciel, hasard de l’avoir choisi pour subir ce sort affreux alors que d’autres pouvaient s’envoler gracieusement à leur guise. Mais ce genre de sentiment était franchement inélégant, autant bien le cacher derrière un sourire comme ils se cachaient tous deux derrière un buisson. Il allait bien falloir qu’ils sortent un jour ou l’autre. Lance se mit alors à inspecter les environs à la recherche de buissons connexes où il pourrait se cacher durant son chemin jusqu’à la cabane, question d’aller reprendre une apparence digne de ce nom.

« Et vous pouvez le faire quand bon vous semble ? » L’intérêt semblait sincère, elle pouvait même presque voir ses yeux briller, de là où elle se trouvait. Elle acquiesça doucement, ne sachant encore pas vraiment que lui dire. C’était sans doute la toute première fois qu’elle dévoilait volontairement sa nature à quelqu’un, aussi ne parvenait-elle pas à se débarrasser de l’étrange tension qui l’habitait. C’était presque comme croiser un loup-garou pour la première fois : grisant, mais terriblement effrayant. « Incroyable, vraiment… » Elle n’était pas certaine qu’il s’adressait réellement à elle. Quelque part, il semblait même l’avoir oublié, perdu dans des pensées qu’elle était bien incapable de déchiffrer. Pendant quelques minutes, elle eut l’impression de n’être plus qu’un objet curieux, et frissonna sous face à ce désagréable constat. « C’est fou les rencontres qu’on peut faire dans ces bois… Vous êtes probablement la première d’entre elles qui me paraisse raisonnable. » Un sourire de travers vint habiller ses lèvres à ces quelques paroles, et elle en oublia ses idées noires. Après tout, n’avait-elle pas elle-même traité Lance comme une chose curieuse, quelques heures plus tôt ? « C’est un bien étrange compliment, mais je l’accepte avec plaisir, je crois. » La jeune femme laissa de nouveau échapper un rire bref, mais sincère. Elle refusait encore de penser à leur prochaine rencontre qui, si elles se faisaient en des circonstances plus « normales », ne manquerait pas d’être gênante, et ce pour tous les deux. Il lui importait bien de se montrer nu devant lui, à présent : il venait de voir un morceau de son âme, alors que pouvait bien signifier un peu de chair, face à cela ?
Elle le surprit à jeter quelques coups d’œil à droite et à gauche, visiblement en quête d’une sortie de secours. « Je peux me retourner, si vous voulez. » dit-elle, la tête légèrement penchée. A force de l’entendre la vouvoyer, elle avait fait de même, bien qu’il ne soit guère dans ses habitudes de se montrer aussi formelle, surtout envers une personne qui l’avait vu sous sa seconde forme. Elle n’attendit pas qu’il lui réponde, et lui fit dos, consciente qu’il avait sans doute bien besoin de repos après une nuit pareille, et qu’elle ne faisait que le retarder, simplement pour satisfaire sa curiosité bien mal placée. Cependant, elle ne pouvait le laisser s’en aller sans prononcer les mots qui lui brûlaient la langue et qui, sur le moment, lui semblèrent d’une importance capitale. « Le corbeau, tout cela, ce n’est pas plus incroyable que de se transformer à chaque pleine lune, vous savez. Vous m’avez beaucoup impressionnée. Effrayée aussi, mais… » Elle chercha ses mots, ceux qui exprimeraient le mieux ses pensées sans faire de lui une simple curiosité de la nature. « C’était très fort, très beau. Incroyable, vraiment. » Après quoi elle baissa lentement la tête, meurtrissant encore une fois sa lèvre de ses dents. Elle n’avait aucun indice sur la façon dont seraient pris ces quelques mots, et elle craignait d’être allée trop loin, jusqu’à le blesser, quand elle ne voulait que lui montrer son admiration.

Pour situation étrange, compliment étrange allait de mise. D’une certaine façon, il se sentait un peu mieux de savoir que celle qui avait été témoin de sa transformation nocturne soit parfaitement à même de comprendre la situation. Si bien qu’elle ne réagissait pas mal comme il avait imaginé que son entourage le ferait. Ce qui ne voulait pas dire qu’il était à l’aise avec la situation, du tout du tout. Même si c’était une inconnue qui l’aurait surpris, il aurait été tout autant complexé. Il détestait vraiment ça. Donc malgré l’agréable compagnie de Yanna, il pensait sérieusement à faire sa sortie, question de ne pas prendre froid sous la brise un peu trop fraîche sur son corps, et aussi d’échapper à cette drôle d’altercation qui risquait fort bien de s’embourber. Ayant remarqué son malaise dans ce sens, la jeune femme lui avait heureusement proposé de se retourner, ce qui enlevait déjà un bon morceau de la gêne. « Oh, merci. », avait-il répondu alors qu’elle s’exécutait.

Il fit donc quelques pas en-dehors de sa cachette feuillue, mais il prit un petit temps d’hésitation. Comment disait-on au revoir dans ce genre de situation? Y allait-il y avoir un revoir justement? Peut-être l’humour aurait donné une impression de confiance, mais il se voyait mal sortir des vannes du genre « En espérant que la prochaine fois on se rencontre habillés! », non il n’était pas du genre à dire ce genre de choses. Mais alors qu’il se questionnait sur l’étiquette des rencontres surprise dans la forêt, ce fut la demoiselle qui prit la parole la première. Il l’écouta, un peu perplexe, se demandant où elle voulait en venir. Lance devint plus méfiant lorsqu’elle avoua avoir été impressionnée. Effrayée, ça il pouvait comprendre, impressionnée, un peu moins. Mais ce qu’elle glissa par la suite sonna à ses oreilles comme une autre langue. Beau? Parlaient-ils réellement de la même créature? À ses yeux, il n’y avait rien de plus laid, et pas juste lui. Il avait ce regard dégoûté sur ses « camarades » également. Donc, il était d’autant plus dur de comprendre ce qu’il y avait eu de beau et d’incroyable, de fort même. C’était l’incarnation de la faiblesse de sa volonté, de la laideur de ses pulsions, de la banalité de l’animal, vraiment ses propos étaient aux antipodes de ses pensées. Il ne voulut pas être abrupt, mais cela lui parut si absurde qu’il ne put s’empêcher de répondre : « Pardonnez-moi, je ne suis pas d’accord. » Sur ce, il décida qu’il était temps qu’il aille se doucher, se rhabiller et surtout se reposer. « Au revoir. », dit-il en se mettant à marcher vers ce qu’il pensait être la direction des cabanes. Il avait bien dit au revoir, se disant, espérant, étrangement que ce ne serait pas leur dernière rencontre. Il avait beau rejeter cette idée de tout son être, il se demandait vraiment ce qu’elle avait pu trouver de beau dans tout cela… Plus tard le grandes questions, ce matin n’était pas le bon moment.

Quelques minutes de silence et puis « Pardonnez-moi, je ne suis pas d'accord. » Elle ne dit rien, se contenta de baisser les yeux. Elle s'attendait à cette réponse, mais quelque part, en espérait une autre. Ils n'étaient, au fond, pas si différents. Son propre don ne lui semblait qu'une évolution de celui de Lance, et elle ne pouvait accepter qu'il ne le voit pas d'une meilleure façon. Pourtant, elle se souvenait de toutes ces années où elle avait été persuadée d'être un monstre, alors même qu'elle avait la possibilité de contrôler son pouvoir. Lui, en revanche, ne le pourrait jamais et serait condamné à souffrir à chaque nouvelle pleine lune. Comment s'étonner qu'il méprise sa seconde nature ? Mais cela revenait aussi à se mépriser soi-même. « Au revoir. » Elle ne se retourna pas tout de suite, entendit les feuilles et les branches craquer et bruisser sous ses pas, ce même bruit qui l'avait alerté quelques heures plus tôt, de la présence du loup. Cette rencontre, plus que surprenante, avait eu quelque chose de désarçonnant, de particulièrement troublant. Il n'y avait aucun mot apte à décrire ce qu'elle ressentait à présent, mais quelque part, elle sentait grandir en elle ce besoin curieux d'aider Lance à s'accepter, se respecter. Elle voyait à présent clairement toute la gêne et le malaise qu'il y avait eu entre eux, laissé de côté, durant leur échange, par la fausse bonne humeur dont ils avaient paré leurs paroles. Yanna ne regrettait rien, mais cela ne l'empêchait pas de se sentir terriblement mal, jusqu'à en avoir la nausée.
Après un long et profond soupir, elle se retourna, jeta un œil au buisson où se trouvait Lance quelques minutes plus tôt, pour n'y découvrir, bien sûr, que son absence. Elle eut un sourire amer, avant de se redresser, ne craignant plus, désormais, le regard de qui que ce soit. Avait-elle envie de le revoir après cela ? Vraiment ? Sans doute cette envie de lui venir en aide lui passerait. De plus, quelque chose en elle lui soufflait qu'il la rejetterait, quoiqu'elle fasse et peu importe ce que contiendrait sa main tendue. Son intérêt pour les lycans était intact, mais celui-là, elle était bien décidée à le laisser de côté. Que cette décision lui tiraille le cœur, elle ne pouvait se permettre d'y prêter attention.
Écartant les bras, elle prit une profonde inspiration, laissa son corps retrouver ses plumes, et s'envola, sans plus un regard en arrière.